Parcours

 

1998 : Sculpteur professionnel.Inscrite à la maison des artistes.Expose en galeries, salons professionnels, en France et à l’étranger.

2010 : art/clown thérapeute en libéral

  • Création de journées de stage mensuelles ouvert à tous

Travail de développement personnel et dynamique de groupe à travers l’expression et la créativité, tout public.

  • Animation d’ateliers : Peinture, argile, écriture, collage, conte, percussions, relaxation, clown

2011 : Suivis individuels art-thérapeutiques

2012 :

  • Création d’une  association loi de 1901 : « Empreinte, laboratoire d’expression et d’art thérapie »
  •  Animation d’ateliers : Peinture, argile, écriture, collage, conte, percussions, relaxation, clown
  • Animation d’un atelier  argile auprès d’art-thérapeutes en formation professionnelle
  • Co-animation d’un atelier polyvalent auprès d’art-thérapeutes en formation professionnelle

2013 : Formatrice et assistante à la direction  d’Asphodèle

Pratique du clown régulière (Bataclown , ArClown, le Samovar) : membre d’un collectif auto-géré de clown (déambulation en rue, clown social)

2013 ... (en cours) : animation d’un atelier hebdomadaire clown en EDI (association Aurore, EDI le Verger, Mitry Mory) auprès de jeunes en (ré)insertion de 16 à 22 ans

2014 : Cycle de 5 ateliers en foyer de vie (A.F.A.S.E.R Montreuil) pour adultes en situation de handicap psychique, médiateur argile

2014/15/16/17 : suivi d’un groupe fermé Clown et développement personnel

2015 : Interventions en détention (hommes et femmes : Réaux et Chauconin) en co-animation avec une sophrologue/CNV: Communication non violente et Clown

2015-2016 :

  • Intervention/spectacle à visée de communication CNV/Clown
  • Stages de groupe CNV/clown

2016 :

  • Formatrice  auprès de stagiaires art-thérapeute (Asphodèle) en co-animation avec une psychologue. Module de formation de 4 jours, polyvalent plastique

2017:

Spectacle CNV/Clown, centre pénitentiare Réau (77)

2017-2018....en cours

Co-animation avec une éducatrice spécialisée d'un atelier hebdomadaire clown en CMP/CATTP (Montreuil)


 

Formation

 

 

2008:

  • Formation d’animateur d’atelier à médiations plastiques 

Evelyne Odier, formatrice et responsable de l’atelier des 36 outils, Paris. 

3 sessions : terre, peinture et travaux manuels

2008-2009-2010 :     

  • Formation d’animateur thérapeute d’ateliers d’expression à médiation :

Asphodèle, les ateliers du pré, Paris, école de formation professionnelle.

Directrice de formation : Claude Sternis (psychologue clinicienne, psychanalyste, animatrice d’ateliers, enseignante et formatrice Paris V, Psychoprat’…)

-Expérientiels : argile, peinture, polyvalent, écriture, percussions, clown….

-Séminaires

-Supervisions

-Psychoprat’ (école des psychologues praticiens): « Médiations thérapeutiques »

-Validation d’un mémoire type DU : « Expression de l’intime, Intime de l’Expression ».

  • Supervisions régulières tout au long de l’année

2011-2012

  • Formation de clown –thérapeute : thérapie d’approche systémique par le clown

ARClown, école de formation professionnelle

Directeur de formation : Albert Solal, art-thérapeute, psychopraticien, hypnothérapeute, fondateur de « Clowns Z’hôpitaux », clown à l’hôpital

2013

  • Formation « clown et soin », clown à l’hôpital.

Formatrice Sandra Meunier : Neztoiles, le clown sympathique empathique.

2008-2009 :

  • Stagiaire bénévole co-animatrice d’un atelier hebdomadaire de peinture à l’association « Personimages », Paris : Adultes, pathologies psychiques et troubles associés.

2009-2010 :

  • Stagiaire co-animatrice (dans le cadre de la formation professionnelle) d’un atelier hebdomadaire de peinture, IME Louis le Guillant, Villejuif : Jeunes adultes autistes et troubles associés.

2003 : psychothérapie individuelle (2 ans)

2004 : psychothérapie de groupe (1 an)


 

Mémoire pour la certification d'art-thérapeute,

Asphodèle les ateliers du Pré

Marie Wermuth

 

 

Créativité et intimité d’artistes et de participants adultes d’ateliers d’expression «normopathes» ou autistes en ville ou en institution.

Pour le certificat de formation d’animateur-thérapeute  d’atelier à médiations expressives Asphodèle 

 

 Remerciements

Merci à "Asphodèle, les Ateliers du Pré" et  tout particulièrement à

Claude Sternis pour m'avoir accompagnée avec bienveillance sur ce chemin escarpé.

 

Merci à mon groupe du 100h et au groupe A de supervision qui m’ont respectivement apporté soutien et partage enrichissant.

 

Merci à Elisabeth Gionnet pour cette chaleureuse et passionnante co-animation lors de mon stage à L’IME sans oublier les jeunes filles qui y participaient et qui m’ont beaucoup appris.

 

Merci aux trois animateurs-thérapeutes ainsi qu’aux trois artistes qui m’ont amicalement accordé temps et confiance en se prêtant à l’exercice périlleux du questionnaire /entretien sans oublier les deux « naïfs » pour leur aide précieuse.

 

Merci aux participants des « journées de stage à l’atelier Empreinte » pour leur autorisation de l’évocation des vignettes cliniques les concernant.

 

Merci à mes enfants qui ont supporté une mère passionnée et parfois trop diserte en conséquence !

 

 

Résumé

 

 Ce mémoire se propose d’explorer à partir d’une population d’artistes, d’animateurs d’ateliers et de participants adultes « normopathes » ou en situation de handicap psychique comment se manifeste, se lit, se parle, se raconte l’intime à travers l’expression plastique. Dans une démarche d’artiste tout comme dans un atelier d’expression, qu’il soit à visée de développement personnel, thérapeutique ou de redynamisation sociale, nous émettons l’hypothèse que l’intime surgit à l’insu du sujet, révélé par la production. C’est le temps du dialogue intérieur avec la matière. Puis, favorisée par le regard posé sur l’objet, par la parole et l’échange, vient le temps de la conscientisation, de la mise à distance.

Inconscient, émergence et création : que dit-on de soi quand on crée ?

 

 

 

Mots-clefs

Expression - Intime - Animateurs d’ateliers - Artiste - Autisme

 

Sommaire

Introduction. 1

Chapitre I : Approche théorique. 3

I.1. L’expression : De l’« Expression de la folie » à l’« expérience créatrice ». 3

I.1.1: Prinzhorn : La « gestaltung » ou la pulsion de créer 3

I.1.2: Art Brut et psychopathologie. 4

I.1.3: Le protocole Arno Stern : Les enfants du clos lieu. 6

I.2. L’intime : la constitution du Moi et de l’intime. 7

I.2.1. Quelques notions sur la constitution du sujet : contenant, contenu. 8

I.2.2. L’espace transitionnel de Winnicott et le concept du Moi-peau d’Anzieu. 10

I.2.3.  Incursion dans l’autisme. 11

I.3 Créer: Codifier, symboliser : Quelques pas en compagnie de trois artistes contemporains. 13

I.3.1: Bourgeois. 13

I.3.2: Rustin. 16

1.3.3 : Chomo, l’ermite de la forêt 18

1.4 Les ateliers d’expression à médiation  en institution et en ville: Cadres, dispositifs et rôle de l’animateur d’atelier. 20

I.4.1 L'atelier d'expression à médiation en institution à visée psychothérapeutique ou lien social. 21

I.4.2 L'atelier d'expression à médiation en ville à visée  développement personnel. 23

Chapitre II : Approche clinique. 26

II.1 Méthodologie: les outils. 26

II.2. Résultats et discussion des questionnaires/entretiens. 27

II.2.1. Animateurs d’ateliers à expression plastique en institution s'occupant entre autre d'autistes  27

II.1.2. Artistes. 29

II.3. Vignettes cliniques. 31

II.3.1.  Atelier peinture dans une association recevant des adultes en situation de handicap psychique: 32

II.3.1A - L’association. 32

II.3.1 B - L’atelier peinture: cadre, dispositif et déroulé de l’année. 33

II.3.1 C - Couture, peinture et créativité d’Amélie. 34

II.3.2  Atelier peinture dans un I.M.E recevant de jeunes adultes autistes: 37

II.3.2 A - L’institution. 37

II.3.2 B - L’atelier peinture : cadre, dispositif et déroulé de l’année. 37

II.3.2 C - Le riz au lait de Gaëlle. 39

II.3.3 Atelier d'expression en ville: 41

II.3.3 A - L’atelier et son fonctionnement 41

II.3.3 B - le déroulement de la journée d’atelier 42

II.3.3 C - Annie et la terre rouge. 44

Conclusion. 47

Bibliographie. 49

 

 

Introduction

 

Ce sujet de mémoire s’est imposé à nous comme une évidence, suite à un colloque organisé par un IME intitulé « Au risque de l’Intime ». En tant qu’artiste plasticienne cheminant depuis plus de vingt ans, l’expression est le pivot central de notre vie et l’intime en est le cœur. Tous nos désirs, nos peurs, nos espoirs, nos frustrations, nos colères et nos joies trouvent dans le « faire », le plus souvent, un exutoire salutaire et bénéfique. Par son intermédiaire et pour chacun d’entre nous, l’expression nous autorise à dire sans mots, à créer des résonnances entre nous et l’autre et nous faire nous sentir vivant. Elle nous offre un refuge où déposer l’émotion, un abri où pouvoir être soi. Evidence donc car l’expression puise indéniablement à la source de  l’intime, nul ne peut en douter. Tout sujet, qu’il soit artiste ou pas, «normopathe[1]» ou en situation de handicap psychique, en dévoile, consciemment ou non, une part plus ou moins exposée, à travers la production. Mais qu’est-ce que cela nous révèle de nous-mêmes et à l’autre? Que pouvons-nous en donner à voir, quel en est l’enjeu et jusqu’où nous y risquer sans se mettre en danger? Quelle part est contrôlée et quelle part nous échappe? Peut-on montrer à tous, peut-on tout montrer? Pour quoi faire et quel en est l’intérêt? Quel regard portons-nous sur notre production et comment l’autre la perçoit-il? Et la parole, dialogue intérieur pendant la création puis échange avec le « regardant », que nous apporte-t-elle à chacun?

Voici donc les questions qui nous animent ici : comment se manifeste, se lit, se parle, se raconte l’intime à travers l’expression. Nous les explorerons à travers la démarche de trois artistes contemporains : Louise Bourgeois, Jean Rustin et Chomo. Puis dans le cadre de trois ateliers d’expression à médiation : deux avec des adultes en situation de handicap psychique, autisme plus particulièrement) dans une association et dans un IME, le troisième avec une population « lambda » en ville.

Pour cela nous émettons l’hypothèse :

1.que tout sujet, qu’il soit artiste ou pas, « normopathe » ou en situation de handicap psychique, a un potentiel d’expression et de création qui puise à la source de son intime, le dévoilant plus ou moins à lui-même et aux autres.

2.Dans les ateliers à médiation, en institution ou en ville, la façon dont l’intime et l’expression est suscitée et accueillie peut mettre en risque le sujet ou favoriser sa construction/reconstruction en lui donnant le sentiment d’exister et de s’inclure dans le monde.

Dans notre société contemporaine, imposés par le rythme effréné du quotidien, peu d’espace et de temps sont laissés à la personne. Nous pensons que l’atelier d’expression à médiation offre à chacun un lieu sécurisé et confidentiel où déposer émotions, ressentis et paroles. De par notre formation d’animateur d’atelier d’expression nous avons pu constater que le partage groupal d’un temps d’atelier où gestes, mots et regards se croisent enrichit la personne qu’elle quelle soit, nourrit le sentiment d’empathie et lui permet de contacter/recontacter son potentiel créatif favorisant la symbolisation, conscientisation voire transformation ainsi que meilleures connaissance et estime de soi. Cette trace, symbolique mais néanmoins concrète signe la  présence de la personne à elle-même et au monde la rendant sujet de sa vie.

Nous avons choisi de nous cantonner à la médiation plastique (peinture et argile) bien que convaincue que tout autre médiateur puisse remplir des fonctions semblables. Pour vérifier cette hypothèse, nous nous appuierons dans l’approche théorique sur les textes de Prinzhorn et l’art brut pour la pulsion de créer, Winnicott et Anzieu pour la construction du Moi et de l’intime. Nous aborderons les différents cadres et dispositifs des ateliers d’expression à médiation ainsi que le rôle de l’animateur d’atelier. Quant à l’approche pratique nous nous référerons à des questionnaires/entretiens avec des animateurs d’atelier et des artistes ainsi qu’à des vignettes cliniques issues de nos prises de notes dans nos expériences de stagiaire en co-animation dans deux ateliers peinture (une association et un IME) recevant des adultes en situation de handicap psychique (autistes, entre autres) ainsi que dans celle d’une expérience d’animation en ville auprès de « normopathes »

 

 

Chapitre I : Approche théorique

 

I.1. L’expression : De l’« Expression de la folie » à l’« expérience créatrice »

 

I.1.1: Prinzhorn : La « gestaltung » ou la pulsion de créer 

 

« Faire et en faisant, se faire ». Sartre.

Prinzhorn étudie l’histoire de l’art avant de devenir psychiatre suite à l’internement de sa seconde femme. Sur la proposition du directeur de la clinique psychiatrique d’Heidelberg (Allemagne) où il travaille en tant qu’assistant du professeur Wilmanns, il constitue un fond d’environ cinq milles pièces pour quatre cent cinquante cas, réunies grâce un appel aux dons des principaux asiles européens. Concernant le choix des œuvres, le directeur d’ Heidelberg recommande qu’il porte « non pas sur la simple reproduction de modèles ou de souvenirs d’avant la maladie mais sur l’expression d’un vécu personnel.[2] » Suite à cette collection, il publie en 1922 « Expression de la folie [3]». Ce livre regroupe une foisonnante exploration des univers plastiques des aliénés. Il y distingue : « le ludique, l’ordre, la parure, l’imitation et la pulsion symbolique.[4]»  La force expressive des œuvres et leur liberté contraste avec la réalité carcérale et oppressive de l’internement. Les matériaux employés, soit tout ce qui tombe sous la main (papier toilette, herbes écrasées, bout de cartons, dentifrice et savon, bout de ficelles, mie de pain, jus de fruits etc) nous démontrent à quel point « l’être humain porte en lui tant de variantes dans l’adaptation et la matière véhicule tant de pouvoir[5] ». De là naît le concept de « gestaltung » qui exprime la nécessité vitale, inhérente à l’homme, quelque soit sa condition, sa santé mentale, son degré d’éducation, à « former des formes ». Une pulsion universelle à créer, plus ou moins latente, pouvant  se révéler subitement, revêtant selon Prinzhorn, une valeur auto-thérapeutique pour le sujet. L’ « Expressions de la Folie », dépassant très vite ses frontières, sera à l’origine de la découverte et de l’intérêt pour l’art psychopathologique qui donnera naissance à l’Art Brut.

 

I.1.2: Art Brut et psychopathologie

 

 « Tout ce que tu vois, passant, Est l’œuvre d’un paysan,

                                                      D’un songe j’ai sorti  La reine du monde ». 

                                                                          Le Facteur Cheval, 1836-1924.

 

                On doit le terme d’Art Brut au peintre Dubuffet (1901-1985). En 1923, six ans après avoir quitté les cours de l’Académie Julian qu’il n’a suivi que six mois, cherchant sa voie et  doutant de son art, Dubuffet se voit offrir par son colocataire le livre de Prinzhorn : « Expressions de la Folie », paru l’année précédente à Berlin. De là naitra sa passion pour l’art psychopathologique qu’il commence à collectionner. Suite à sa rencontre avec Breton (1896-1966) et en parallèle avec la naissance du mouvement surréaliste, ils fondent le foyer de l’Art Brut, visant à regrouper et conserver « des productions présentant un caractère spontané et fortement inventif, aussi peu débitrices de l’art coutumier et des poncifs culturels et ayant pour auteur des personnes obscures, étrangères aux milieux artistiques professionnels. » Anti-culturel et visant sa propre recherche picturale, Dubuffet et beaucoup d’autres après lui tels Klee, Miro, Lhote, Hartung, Picasso s’intéressèrent aux productions d’autodidactes sans connaissance ou formation culturelle traditionnelle : malades mentaux, prisonniers, marginaux, exclus. De cette population « hors les normes » ils firent un parallèle entre « l’art des fous », les arts primitifs dits sauvages et les dessins d’enfants. Ils y voyaient cette même expression, spontanée, pulsionnelle, sans attente de reconnaissance ou de revendication esthétique, sans désir de communication, unique reflet de leur état d’être intérieur, catharsis de leurs désirs, souffrances, fantasmes, délires obsessionnels, au plus près de soi et n’ayant que faire de la réalité du monde extérieur. En 1971 Dubuffet fera don de ses collections à la ville de Lausanne (Suisse) dont les œuvres, toujours visibles aujourd’hui, sont regroupées à « La Collection de l’Art Brut. » Dans ce courant de l’Art Brut, qu’ils viennent de l’asile ou d’hors les murs, nous pouvons citer, le Facteur Cheval et son Palais Idéal à Hauterives dans la Drôme ou encore l’Abbé Fouré qui sculpta pendant 25 ans  la Falaise de Rothéneuf entre Saint-Michel et Saint-Malo. Wölfli (1864-1930), interné en 1895 dessine, écrit, compose de la musique (qui vient récemment d’être déchiffrée) et l’interprète. Sa production est vertigineuse et ne s’arrêtera qu’à sa mort. Lesage (1876-1954), que l’on peut classer dans les « médiumniques », féru de spiritisme, commence à dessiner après avoir entendu une voix lui dire « un jour tu seras peintre ». Il peint des toiles de très grands formats aux compositions foisonnantes et symétriques. Aloïse née en 1886, bachelière en 1906, rencontre l’empereur Guillaume II et en tombe éperdument amoureuse. Elle sera internée en 1918 pour « démence précoce qui  évoluera vers l’autisme [6]». Elle écrivit et dessina jusqu’à sa mort en 1964. Dans son univers pictural, très symbolique, la figure féminine est sans cesse représentée, magnifiée, mais les yeux entièrement bleus, sans pupille, ne nous renvoient aucun regard, nous plongeant dans un puits sans fond. Maisonneuve (1863-1934) compose d’étranges et très expressifs visages à l’aide de coquillages. Robillard (né en 1930), interné à 19 ans, fabrique des fusils composés d’éléments de toutes sortes, des engins spatiaux et autres « machines ». Aujourd’hui âgé de 80 ans, il a acquit une notoriété qu’il entretient avec délice : « Vous vous rendez compte ? Un gars tout seul, comme moi, je m’en suis sorti. Léonard de Vinci était aussi fort que Picasso mais c’est différent. Chacun son truc. Léonard, italien, Picasso, espagnol, et moi, français. Je suis un artiste puisque je suis dans des musées [7] ». Darger (1892-1973) va, pendant quarante ans, accumuler journaux, publicités, albums de coloriages  qu’il utilisera pour composer une œuvre colossale et ambiguë entre collage et écriture. Des petites filles affublées de pénis, dans des compositions champêtres aux tons pastels, se livrent à des jeux pervers et sadiques. Une œuvre étrange et dérangeante qui puise sa force dans la manipulation et le détournement de l’image. Citons encore, les broderies de Jeanne Tripier, le tricot de Madge Gill, les sculptures d’Auguste Forestier, le plancher de Jeannot, les montages photographiques d’Alexandre Lobanov, le Manège de Petit Pierre, les assemblages d’Emile Ratier, sans compter les innombrables productions d’anonymes dont l’histoire n’a pas retenu les noms. Autant d’histoires humaines que de façons de s’exprimer malgré ou plutôt « grâce » au manque de moyens, de l’art de détourner, de se réapproprier des matériaux de toutes sortes pour mettre à jour, pour donner sens, pour accéder au sentiment d’exister qui prouve que « du besoin de faire se crée le monde [8] ».

 

 

I.1.3: Le protocole Arno Stern : Les enfants du clos lieu

 

« Rien de commun entre l’art et l’expression.

L’expression, à la fois conduit à l’affirmation de soi

et résulte de l’affirmation de soi,

l’être se transforme ». Arno Stern.

           

            Après avoir animé un atelier de peinture dans une maison pour orphelins de guerre en 1946, Stern ouvre, quelques années plus tard, son propre atelier qui deviendra ce que nous connaissons sous le nom de « Clos lieu ». Stern va, au fil de l’observation et de l’expérience, mettre en place un cadre et un dispositif favorisant l’émergence de l’expression. Comme son nom l’indique, l’atelier est une salle fermée sans aucune fenêtre, une sorte de cocon protecteur et sécurisant. La pièce mesure six mètres de long, est large de trois mètres avec une hauteur sous plafond de trois mètres vingt. Au centre de la pièce, la table palette de deux mètres de long par vingt centimètres de large est composée de dix huit godets de peinture face à dix huit godets d’eau chacun muni de trois pinceaux dont un très gros. La séance dure entre une heure trente et deux heures pour quinze participants maximum. Les murs composés d’isorel mou sont recouvert de kraft afin de pouvoir y punaiser des feuilles de format raisin (50x65cm). Enfants, adultes, peignent debout, posture qui favorise la mise en mouvement du corps ainsi que l’amplitude du geste. La table-palette, centrale, crée elle aussi un déplacement nécessaire dans l’espace. Chacun va recharger son pinceau de couleur puis revient dans son espace personnel délimité par sa (ou ses) feuille sur le mur. Mouvements de va et vient, de l’espace individuel à l’espace groupal. Stern, pédagogue qui se définit comme un éducateur, prône, dans la lignée de Rogers : la non-directivité, le non-jugement, aucune interprétation ni évaluation d’ordre moral ou esthétique, aucune attente de résultat, de reconnaissance ou même d’idée d’« œuvre » et enfin, aucun regard extérieur porté sur la production qui ne quitte pas le Clos-lieu. Ce qui est important pour Stern c’est l’expérience créatrice, libre de toute entrave extérieure et non le résultat. L’expression, dans le langage Sternien, si et seulement si elle est libre, a valeur d’une formulation inconsciente figurant plastiquement des sensations, sentiments, pensées : expression de l’intime. Stern nous dit que « l’acte traceur est une manifestation de la Formulation dont il résulte un équilibre et un épanouissement qui fortifie la personnalité, libère de la dépendance de modèles, développe une autonomie positive, le besoin d’affirmation de soi en même temps que la relation aux autres, dans un parfait équilibre excluant la compétition. »

I.2. L’intime : la constitution du Moi et de l’intime

 

« Si certaines choses ne demeuraient pas cachées, la vie serait insupportable ».

Yitzhak de Worke.

           

            Universel et propre à l’être humain, la notion de l’  intime et de ses limites est cependant singulière à chacun, pour peu qu’il ou elle ait une « conscience de soi » suffisamment bonne, autrement dit, se reconnaître en tant que sujet. Cela ne sous-entend pas qu’une personne en situation de handicap psychique (autisme par exemple) et dont la construction interne se révèle vacillante, en soit dépourvue mais cette part de soi qui veille à protéger de l’extérieur ce qui se joue, se ressent à l’intérieur, lui reste difficilement accessible, voire chaotique. Au mieux, cette part secrète, cachée, se révélera à son insu dans le corps et son comportement (stéréotypies), dans la parole et ses lapsus, répétitions, ou encore dans ses productions véhiculées par les médiations. Il s’agit donc de ce qui est le plus au-dedans, le plus essentiel. Intérieur et profond, privé, personnel, ce « lieu » est à l’image de ce jardin secret qui s’exprimerait à nous par cette voix intérieure, plus ou moins audible, compréhensible. C’est aussi cette frontière symbolique de ce que l’on peut donner à voir de soi à l’autre sans se mettre en danger. En fonction des époques et des cultures, l’intime se manifeste de façons diverses. Les codes sociétaux eux-mêmes, les règles, lois et interdits nous dictent ce qui est de l’ordre de l’intime (et se doit de le rester) de ce qui est acceptable de montrer. Si nous devions faire une métaphore, l’image en serait celle d’un fruit dont le noyau est protégé par la pulpe et celle-ci par la peau. Abraham et Törok ont d’ailleurs titré un de leurs ouvrages : « L’écorce et le noyau[9]», immédiatement évocateur de la notion dedans/dehors nous renvoyant également à celle du Moi-Peau d’Anzieu, prenant appui sur les travaux de Bick sur la peau et l’observation du nourrisson. Quant à Selz, dans « La pudeur, un lieu de liberté » elle nous dit que « Construction et maintien d’un espace propre ne sont pas un impératif d’ordre idéologique mais une nécessité vitale[10]». En effet, être sujet, c’est être capable de se reconnaître en tant que soi, individu à part entière, différent de l’autre et ainsi pouvoir choisir ce qu’on pourra ou désirera montrer ou dire de soi. Certaines de nos pensées, émotions, ressentis pourront alors rester cachés, à l’abri, en sécurité dans ce refuge  protégeant l’intégrité de notre être de toute intrusion. Mais, la notion d’un « dedans/dehors » implique le sentiment d’un monde intérieur, propre à soi, délimité, et d’un monde extérieur, propre à l’autre, différent de soi.

 

I.2.1. Quelques notions sur la constitution du sujet : contenant, contenu.

 

La constitution de sujet s’acquièrt peu à peu, à l’issue de différents stades que le nouveau-né va devoir franchir. A la naissance, le nourrisson est comme un territoire vierge, sans conscience de  limites entre intérieur et extérieur, soi et non-soi, sujet et objet, bien que comme nous le font remarquer Bizot et Millot « capable de percevoir le monde par des canaux multi-sensoriels qui s’organisent de façon de plus en plus riche et complexe dans un système d’aller retour entre lui et son environnement [11]». A ses yeux, sa mère et lui ne font qu’un, sans distinction, il est elle et elle est lui. Cela correspond chez Freud au « stade oral », première relation objectale partielle (0-1an), focalisé sur l’ingestion du lait maternel ainsi que sur toutes sortes d’informations sensorielles : vision, toucher. C’est le temps de l’illusion et du principe de plaisir. Klein pose l’hypothèse d’un Moi « clivé », premier mécanisme de défense contre l’angoisse permettant à l’enfant tantôt d’ « introjecter  l’objet idéal » (le bon sein : satisfaction) tantôt de « projeter à l’extérieur le  mauvais sein » (frustration). Elle  distingue deux stades dans la première année de vie de l’enfant : la « position schizo-paranoïde  » (0-3 mois), stade de l’ « objet partiel » suivie de la « position dépressive » (vers 6 mois), perception de « l’objet total ». Winnicott nous parle du stade de  « l’identification primaire » qui s’appuie sur la « préoccupation maternelle primaire » basée « l’identification de la mère au nourrisson » qui, par sa capacité d’empathie va lui donner les « soins parfaits ». La mère (sein) joue alors une « fonction de miroir » pour l’enfant : « Il s’agit de la fonction de support que le Moi de la mère assure auprès du Moi de l’enfant [12]». Il considère le sein qui apaise sa faim et lui procure plaisir comme une partie de lui-même et rejette sur l’autre, l’extérieur, tout ce qui le dérange. C’est ce que Klein nome l’ « identification projective », temps de la toute puissance magique, mécanisme archaïque, défensif. La mère a alors une « fonction de pare-excitation » (Freud), « contenante » (Bion). Bowlby théorise de même une « pulsion primaire d’attachement ». L’intérieur et l’extérieur du sujet est confondu, la réalité est floue, sans contenant psychique structuré. Puis vient le temps de la « désillusion » (Winnicott) où le « principe de réalité » (Freud) plonge l’enfant dans la « position dépressive » (Klein). Si les soins prodigués par la mère au nourrisson ont été « suffisamment bons », il pourra alors supporter les frustrations dues aux limites qui lui seront imposées et petit à petit s’étayer sur la contenance donnée par la mère et la famille en entamant  le processus de séparation du non-Moi et du Moi. La mère a donc en premier lieu un rôle de « portage » puis de  « limitation » (Sternis) qui permettra à l’enfant de  se constituer comme sujet, s’étayant sur celle-ci qui passera du statut de contenant, (« fonction alpha » chez Bion) à celui de contenu afin de « l’intérioriser, la constituer comme objet interne sécurisant [et ainsi…] accéder à une capacité de symbolisation[13]». Freud l’a illustré avec le « jeu de la bobine ». Chez Lacan cela correspond au « stade du miroir » qui se décompose en trois étapes. Dans un premier temps, l’enfant pense que son reflet est un autre dont il essaiera de se saisir. Puis comprenant que ce n’est qu’une image mais sans conscience que ce soit la sienne, il ne cherche plus à la toucher ou l’attraper. Enfin, l’enfant comprend que cette image est la sienne, reflet de son propre corps. C’est « la conquête de l’identité du sujet par la perception d’une image totale de son corps précédent le sentiment de l’unité de sa personne. Cette conquête de l’identité va permettre de se nouer aux trois grands registres du psychisme humain : le Réel, l’Imaginaire et le Symbolique[14] ». Ces trois stades Lacanien permettent la construction d’une enveloppe psychique d’où, peu à peu, pourra émerger le sujet.

 

 

I.2.2. L’espace transitionnel de Winnicott et le concept du Moi-peau d’Anzieu.

 

« De tout individu ayant atteint le stade où il constitue une unité, avec une membrane délimitant

un dehors et un dedans, on peut dire qu’il a une réalité intérieure, un monde intérieur,

riche ou pauvre, où règne la paix ou la guerre ». Winnicott.

 

            Pour Winnicott, la création d’un « espace transitionnel » est une étape incontournable pour que l’enfant puisse se constituer en tant que sujet. Pour ce faire, il aura recours à l’ « objet transitionnel » remplaçant symbolique de la mère qui lui permettra d’en supporter l’absence. L’enfant investit un ou plusieurs objets (doudou, nounours) qui après avoir été dans un premier temps sous son « contrôle magique » dans « l’illusion » qu’il l’a lui-même créé, le rejette ensuite au-dehors pour enfin le ré-accepter comme extérieur. Celui-ci devient alors  la « première possession non-moi » de l’enfant lui permettant d’accéder au « Réel » et au « Symbolique[15] », par sa capacité d’être à la fois en lien avec ses émotions et avec la réalité extérieure, soit à la fois dedans et dehors. Winnicott insiste sur le fait que ce n’est pas l’objet en soi qui est transitionnel mais bien l’utilisation qui en est faite. Cela constituera une « aire intermédiaire d’expérience qui subsistera tout au long de la vie, dans le mode d’expérimentation interne qui caractérise les arts, la religion, la vie imaginaire et le  travail scientifique créatif [16]» offrant un « lieu de repos pour l’individu engagé dans cette tâche humaine interminable qui consiste à maintenir, à la fois séparées et reliées l’une à l’autre, réalité intérieure et réalité extérieure[17] ». Mais pour que naisse la conscience de l’individualité, de son identité propre, permettant à l’enfant de différencier soi de l’autre, l’interne de l’externe, le rêve de la réalité, il faut, d’après le concept d’Anzieu que se constitue un « Moi-peau ». Celui-ci s’appuie sur la théorie de Winnicott : « Le Moi se fonde sur un Moi corporel, mais c’est seulement lorsque tout se passe bien que la personne du nourrisson commence à se rattacher au corps et aux fonctions corporelles, la peau étant la membrane-frontière[18] ». Anzieu désigne par Moi-peau « une figuration dont le Moi de l’enfant se sert au cours des phases précoces de son développement pour se représenter lui-même comme Moi contenant les contenus psychiques, à partir de son expérience de la surface du corps[19]». Le Moi-peau est une enveloppe en double feuillet (interne et externe) servant à contenir des représentations, des affects, soit, de localiser dans un espace imaginaire, l’excitation pulsionnelle pour accéder à la  conscience d’unité du sujet, en fusion avec la mère dans un premier temps puis, en individualité. Le Moi-peau revêt huit fonctions : « Maintenance - Contenance - Pare-excitation - Individuation - Inter sensorialité - Soutien de l’excitation sexuelle - Recharge libidinale - Inscription des traces ». Pour Anzieu, « être un moi » c’est d’abord « se sentir la capacité d’émettre des signaux entendus par d’autres » puis de « se sentir unique » pour finalement « pouvoir se replier sur soi-même[20] ». Le Moi-peau, peau psychique, est donc une « interface apte à séparer le dedans et le dehors[21] ».

 

I.2.3.  Incursion dans l’autisme

 

L’enfant autiste n’a pu, au cours de son développement, pour des raisons biologiques et d’interaction psychologique, se constituer une enveloppe physique (image du corps) et psychique (Moi-peau) grâce à l’étayage sur la contenance maternelle, les soins prodigués et l’institution de l’aire transitionnelle. Il en résulte alors l’impossibilité de s’individuer de la mère entrainant celle de différencier l’interne de l’externe. La « fonction α  contenante » de Bion est inopérante, (détériorée ou insuffisamment développée) à transformer les «  éléments β  » (archaïques) en  éléments α  (concret→représentation→symbolisation). Cela entraine des angoisses psychotiques, un vide de pensées, un  clivage soit un « retrait de la réalité et une lutte entre pulsions de vie et de mort » (Freud) et consistant à séparer  « l’objet d’amour » (la mère) en bons et mauvais objets (Klein). L’enfant autiste aura recours à divers mécanismes de défense et d’identification pour protéger son Moi. L’ « identification projective », mécanisme psychotique, lui permettra de rejeter à l’extérieur, sur l’autre (mauvais objet), tout ce qui le dérange afin de lui « nuire, le posséder, le contrôler », mais surtout dans « l’identification adhésive » (Bick) mise en place pour éviter la souffrance psychique de la séparation d’avec l’objet, l’enfant  reste « collé  à sa surface », sans distinction de distance, de limite, confondu à lui et donnant lieu à des angoisses de disparition-destruction. Meltzer, développant le terme de Bick, parle  « d’agrippements »  et de « comportements  mimétiques »  avec l’objet. Tustin évoque un  « autisme primaire normal », stade primitif du développement chez tout sujet. Elle reviendra sur sa terminologie en 1984, jugeant le terme  d’autisme  trop référent à la pathologie et le renommera « état d’autosensualité ». L’ « autisme primaire anormal » prolongation pathologique due à une carence totale ou partielle de soins ou de stimulis maternels crée une enveloppe « molle, amiboïde » avec une conscience très vague de l’identité. L’ « autisme secondaire  à carapace ou encapsulé », arrêt du développement psychique qui « se caractérise par un retrait et une inhibition dus à l’impossibilité qu’a rencontré l’enfant de supporter le choc de la séparation [22]» protège et isole le sujet en créant une barrière entre le Moi et le non-moi. Ce Moi-peau non constitué, « troué », cette non-intégration de sa sensorialité, cet espace interne/externe non identifié soumet le sujet à des angoisses extrêmes de chuter (« trou noir »), de se vider, de disparaître. La relation à l’autre, terrifiante, est soit soumise à se fondre en lui, soit soumise à l’éviter par la fuite ou la négation par l’utilisation d’objets et/ou formes autistiques. Williams, enfant autiste, devenue une adulte totalement autonome, témoigne dans son autobiographie intitulée : « Si on me touche, je n’existe plus » : « Plus je prenais conscience du monde autour de moi, plus j’en avais peur. Pour moi, les personnes que j’aimais étaient des objets, et ces objets (ou les choses qui les évoquaient) étaient ma protection contre les choses que je n’aimais pas, c'est-à-dire les autres personnes […] Je ne devais à aucun prix perdre ou laisser échapper mes symboles sous peine de me laisser envahir par les méchants[23]. »

 

 

I.3 Créer: Codifier, symboliser : Quelques pas en compagnie de trois artistes contemporains.

 

            Nous avons choisi de vous présenter trois artistes contemporains qui, très subjectivement, nous donnent accès à leur intime par le truchement d’une œuvre forte et sans concession. Chacun d’eux a développé ses propres « codes » plastiques, écriture symbolique où l’ « image » se fait passerelle. Outre la peinture ou l’argile, le matériau primordial de l’artiste, c’est lui-même, le monde qui l’entoure et leur interrelation. Ses souvenirs, ses pensées, son histoire familiale, amoureuse, ses frustrations, ses désirs, ses regrets, ses peurs, ses interrogations, tout est matière à créer, formulation personnelle qui, de l’individuel touche à l’universel. L’œuvre plastique, « objet » concret, a valeur de témoignage, donnant à voir à l’artiste et à l’autre qu’il existe en tant qu’être unique, sujet de sa vie. A l’écoute de son monde intérieur, l’œuvre s’offre aux regards extérieurs, faisant lien entre soi et l’autre dans un mouvement voilé/dévoilé.

 

I.3.1: Bourgeois.

 

« L’exorcisme, c’est bon pour la santé. La cautérisation, c’est brûler pour guérir. C’est comme tailler un arbre. C’est mon art. C’est mon domaine ». Louise Bourgeois.

 

Louise, Joséphine Bourgeois naît à Paris le 25 décembre 1911. Ses parents restaurent des tapisseries anciennes dans leur atelier de Choisy-le-Roi sur lesquelles, à onze ans déjà, elle dessine les parties manquantes. Elle grandit donc dans un univers féminin entre fils et aiguilles. En 1927, ses parents la forcent à abandonner ses études pour se consacrer à la tapisserie au sein de l’atelier familial. Cinq ans plus tard, travaillant seule et en cachette elle obtient son baccalauréat de philosophie. Louise suit aussi une formation artistique dans diverses académies notamment dans l’atelier de Fernand Léger et celui d’André Lhote. Sa mère, qu’elle décrit comme « fiable, intellectuelle, logique, sans éclat de passion[24] » et qu’elle dit essayer d’imiter, dirige le travail de l’atelier pendant que son père collectionne les antiquités et court le jupon. Il va même jusqu’à engager comme gouvernante pour ses enfants, une jeune anglaise dont il est l’amant et qu’il installe au domicile conjugal. Ecartelée entre l’intellect de la mère et la faiblesse du cœur du père, elle ne lui pardonnera cependant jamais cette trahison. Cette névrose familiale, cette blessure de l’enfance sera l’origine même de toute son œuvre : « tout mon travail des cinquante dernières années, tous mes sujets, trouvent leur source dans mon enfance. Mon enfance n’a jamais perdu sa magie, elle n’a jamais perdu son mystère, ni son drame[25] ». En 1938, après son mariage avec l’historien d’art américain Robert Goldwater, elle émigre à New York dont elle deviendra citoyenne américaine en 1951, à la mort du père. En 1940, les thèmes de l’enfance et de la maternité sont déjà présents, inaugurant la genèse de son œuvre à venir, réflexion sur l’identité féminine, la sexualité, le rapport féminin/masculin, la complexité de la relation de couple, qu’elle déclinera sans relâche à travers le dessin, la peinture, la gravure, la sculpture, dans des matériaux aussi divers que le latex, le plastique, le caoutchouc, le chiffon, le marbre, la pierre ou le bronze. Louise écrira aussi tout au long de sa vie : « Les mots, c’est tout ce que j’avais sous la main, hormis mes cinq sens[26] ». A ce propos, Donald Kuspit, grand critique d’art, dira d’elle : « Les mots comme objets transitionnels: l’écriture de Louise Bourgeois[27]». Faisant fi de tout académisme et feu de tout bois, elle nous livre un monde intérieur où ses pensées les plus intimes, ses blessures de l’âme trouvent en l’art un exutoire salutaire et thérapeutique. Elle pratique la sculpture comme un exorcisme : « mes émotions ne sont pas appropriées à ma taille, elles sont mes démons. C’est pourquoi je les transfère dans mon travail[28] ». Pour Louise Bourgeois, l’art et la vie ne font qu’un. « Le but de la sculpture, dit-elle, c’est la connaissance de soi et le privilège de l’artiste c’est d’être en contact avec son inconscient[29]». De ses souvenirs, de ce passé douloureux, de cette enfance trahie elle fera surgir une œuvre bouleversante et forte touchant à l’universel. « Si vous ne pouvez vous résoudre à abandonner le passé, alors vous devez le recréer. C’est ce que j’ai toujours fait. […] On fait, on défait, on refait [30]». Et Louise Joséphine Bourgeois fait, sans relâche, défait et refait sans faiblir, ose toutes les transgressions, libre. Dans les années 40, ses premières œuvres  associent corps féminin et architecture dans ses Femmes-Maison. Puis, dans les années 50, palliant le manque de ceux qu’elle avait laissés en France, viennent  les Totems/Fétiches, empilements et assemblages faits de bric et de broc. Passant du figuratif formel à l’abstraction la plus dépouillée, elle expérimente les matériaux, revisite avec audace sa mythologie personnelle, re-crée son passé, sans censure, sans retenue. Dans les années 60, les « Soft Landscapes », sortes de paysages aux excroissances sphériques ou ovoïdes nous évoquent seins et mamelles. L’érotisme y est très présent, sans tabou. Pour preuve, « Fillette » cette sculpture en latex figurant un phallus qu’elle présente suspendu. Sur un portrait, on la voit la porter sous le bras, tout sourire : « Le phallus est le sujet de ma tendresse, c’est à propos de la vulnérabilité et de la protection[31]» dit-elle. Mais son œuvre reste encore assez confidentielle. C’est en 1982 (Louise a 71 ans), qu’elle accède véritablement à la reconnaissance grâce à la rétrospective organisé par le MoMa (Muséum of Modern Art). Ces œuvres les plus marquantes restent : « La Destruction du Père » installation cannibalique de mamelles et phallus, les « Cells » (la Cellule), sorte d’énormes cages d’acier, métaphores du contenant/contenu, qu’elle réfère à  la cellule « communiste, de prison, et surtout du sang » représentent « différentes sortes de douleurs  : physique, émotionnelle, psychologique, mentale, intellectuelle[32]» sans oublier bien sûr ses gigantesques et célèbres araignées, les « Spiders », déjà présentes dès 1940 sous forme de dessins et qu’elle décline en sculpture dans les années 90. Ce sujet récurent qui peut paraître dérangeant et phobique a pour Louise Bourgeois une valeur symbolique maternelle positive et bienveillante, l’araignée tisseuse protectrice et réparatrice. Nous pourrions citer aussi son « Arch of Hystéria » (Arc de l’hystérie), sculpture très réaliste en bronze faisant référence au neurologue du XIXème siècle Jean-Martin Charcot ainsi que toute son œuvre en tissu et broderies des dernières années. Louise Bourgeois, femme et artiste engagée s’est éteinte le 1er juin 2010 à l’âge de 98 ans laissant derrière elle une œuvre témoignage multiple et  poignante.

Nous voyons que toute l’œuvre de Louise Bourgeois s’appuie sur ses affects et ses frustrations enfantines. Elle utilise l’expression pour faire surgir une mise à jour de l’intime lui permettant par le biais de la « catharsis », une conscientisation salutaire, exorcisme libérateur lui offrant ainsi une possibilité de transformation valorisante. Ses « démons », apprivoisé par la matière, se sont faits œuvres.

 

I.3.2: Rustin

 

« Pour moi le corps mis en scène, théâtralisé par l’espace vide et clos du tableau,

est l’image qui me permet d’exprimer avec violence et de la façon la plus directe,

les sentiments et les désirs conscients et inconscients qui m’habitent

et que je ne saurais traduire autrement que par ces images ».

Jean Rustin.

 

Jean Rustin voit le jour à Montigny-lès-Metz en Moselle, le 3 mars 1928. En 1939, à Poitiers, il apprend le violon, passe son baccalauréat à Metz en 1944 et peint ses premières toiles. Il a 19 ans en 1947 quand il rejoint Paris et s’inscrit aux Beaux Arts. Rustin est rapidement reconnu et apprécié comme un des meilleurs représentants de la peinture abstraite qui triomphe à cette époque à Paris. Mais en 1971, à l’occasion d’une importante rétrospective qui lui est consacrée au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, tout bascule. Le regard qu’il porte sur l’ensemble de son œuvre et qu’il qualifie de « trop belle, trop facile[33] » sera déterminant : le peintre abstrait se retire au profit du peintre figuratif. Une ligne d’horizon apparaît, « une ligne qui définissait le haut et le bas, une ligne qui recréait le monde[34] ». Et voilà que surgit sur la toile des corps nus : l’humanité envahit l’espace mais l’humanité en souffrance, dégradée. La peinture de Rustin ébranle : une mise en abîme de l’humain, aux portes de la folie, bien qu’il se défende de représenter des malades mentaux. Il raconte à ce propos un choc qui le bouleverse et qu’il n’oubliera jamais. A vingt ans, réalisant des fresques murales dans un asile de jeunes filles folles, il assiste à une sorte de scène primitive : « Le médecin directeur donnait son cours magistral et, à côté de lui, couchée sur une table, à moitié nue, une ravissante fillette de huit ou neuf ans, était en train de se masturber. Ça faisait rire les étudiants. Moi, je n’ai jamais oublié cette image[35] ». Œuvre singulière, parfois à la limite du supportable, Rustin nous emporte dans un maelstrom d’émotions, nous renvoyant à la condition humaine, archaïque, brute, sans pudeur ni concessions. Tout semble paradoxe chez Rustin: c’est cru, violent, dérangeant et à la fois beau, tendre, empathique. Sa palette, si poétique, oscillant des gris aux roses ou aux verts pâles parsemés de quelques touches de blanc, semble nous préparer au choc des corps, comme pour venir adoucir notre vision. Ses personnages, des hommes, des femmes, seul ou guère plus que trois, centrés sur la toile, nus le plus souvent, parfois le buste recouvert d’un maillot blanc ou d’une camisole, le regard perdu, hagards, désincarnés, se masturbent, pissent, le pantalon tirebouchonnant sur leurs jambes. Dans une pièce vide, souvent carrelée, avec pour seul décor un lit, une baignoire, une porte ou une prise de courant, ils nous dévisagent, sans nous voir, l’air absent. Debouts, allongés, accroupis, leurs doigts entremêlés fouaillent dans leur bouche, dans leur sexe, ou alors les mains jointes ou posées sur leurs cuisses. Leur monde est clos, la communication y est semble absente et impossible. « D’une toile à l’autre, l’artiste explore obsessionnellement, l’innommable et le tragique[36] ». Sexualité, désir, incarnation, pulsions, tensions, le corps s’exhibe, nu, cru, empreint d’une animalité primitive, comme à l’origine du monde. On ne saurait dire si ce sont des vieillards ou des enfants, des fous ou des prisonniers. Les toiles de Jean Rustin nous prennent littéralement aux tripes, mais, pour peu que nous puissions les supporter, elles nous livrent l’essence même de notre humanité, fragile, démunie, fugace et nous interrogent sur l’être et le paraître, sur nos failles et nos limites, nos peurs, nos désirs, la vie, la mort. Que persiste-t-il de l’humain quand les codes sociétaux et les règles de « bienséance » volent en éclat ? Que persiste-t-il quand le corps se flétrit, se dégrade, quand l’esprit s’échappe, vagabondant dans des lieux incertains ? Et qu’en est-il de notre regard posé sur ses toiles ? Fait-il de nous des voyeurs, pris en otages, en provoquant ce mouvement d’attraction/répulsion ? Rustin cherche à nous restituer des ressentis. Symbolique et métaphorique, l’œuvre de Rustin, dont on ne sort pas indemne, nous parle avec compassion de l’âme humaine et nous  touche au plus profond de notre être. Rustin hurle en silence sa fragilité et la nôtre. « Ce n’est pas la réalité qui m’intéresse mais l’aura de la réalité [37]».

Dans son œuvre, Jean Rustin nous parle de solitude intrinsèque à l’homme, nous livre métaphoriquement ses peurs, affronte notre finitude. Cette « perlaboration » plastique nous donne accès à ses questionnements intérieurs, intimes. Par le biais de l’expression il s’interroge et nous interroge, créant ainsi un pont symbolique entre lui et nous. La peinture, image du « dedans » se donne à voir au « dehors » témoignant de  l’appartenance de l’homme aux Hommes.

 

1.3.3 : Chomo, l’ermite de la forêt

 

« Avoir osé aller jusqu’aux extrémités de l’âme ». Chomo.

Roger Chomeaux dit Chomo nait dans le Nord le 28 janvier 1907. Il manifeste très tôt des dons pour la sculpture. Sa tante l’initie au spiritisme. Etudiant aux Beaux Arts de Paris entre 1926 et 1928, il remporte quatre prix de sculpture. Après s’être marié, il est « artiste décorateur », dessinant des canevas de tapis. En juin 1941, il bénéficie d’un  rapatriement sanitaire après une captivité en Pologne. Il achète alors un hectare dans la forêt de Fontainebleau à la sortie du village d’Achères puis, ses premières ruches en 1943. Il partagera alors sa vie entre Paris et Achères la Forêt pendant vingt ans. Il s’y installe définitivement en 1966. Et Chomo expérimente, travaille, cherche, découvre, assemble, inlassablement. Gouaches stylisées, séries de céramique, bois brulés, plâtre, assemblages… chez Chomo, tout fait ventre. Toute son œuvre est réalisée en matériaux de récupération : bois morts, bouteilles, tôles de voitures, grillage qu’il récupère ici ou là, en forêt, dans les décharges, dans les casses automobiles. Mais Chomo est un artiste total : poète (après sa rencontre avec le poète André Vernier, il décide de n’écrire plus que phonétiquement créant le « langage parallèle »), musicien, architecte, réalisateur. Malgré une reconnaissance de ses pairs comme entre autres Picasso et Dali, ainsi que celle des galeristes parisiens Claude Bernard et Iris Clert  qui l’exposent en 1960, il décide de se retirer du marché de l’art et du monde. Ainsi Chomo devient l’ermite de la forêt. Marginal, mystique aux croyances spirites et animistes, en rébellion contre une société qu’il juge dévoyée, Chomo, créateur inspiré, rêveur d’un monde imaginaire invente un univers poétique aux confins de l’art brut. Libre de toute entrave, rejetant toute connaissance, il crée. « J’ai mis quarante ans à me décrotter des académies et à comprendre que l’art, ce n’était pas la figuration de ce qui est, mais de ce que pourrait être. L’art c’est concrétiser du rêve [38]». Dans son territoire mythique, son « Village d’Art Préludien, Prélude à une initiation nouvelle », en plein milieu de cette forêt de Fontainebleau, entouré de ses abeilles auxquelles il parle et qui, dit-il, lui répondent (sur une photo de 1960 on le voit le visage recouvert d’abeilles) Chomo se fait architecte. Il y construit son « Sanctuaire des Bois Brûlés », très christique, dont les façades extérieures sont décorées de bouteilles, fioles et tessons de couleurs. Puis viendra son « Eglise des Pauvres » et son « Remorqueur Réfrigéré » qui deviendra « le Refuge » dans lequel il prendra l’habitude de baptiser ses visiteurs au « vin sauvage » avant de répondre à toutes leurs questions, en fin de parcours de la visite guidée. Son royaume, parsemé de pancartes où aphorismes et maximes de son cru : « VIVRE-NON-PA-POUR-ETRE-ME-POUR-DEVENIR » 

« DAN-LEXTREME-FUTUR-LEQREATER-SERA-TOTAL-OU-IL-NE-SERA-PLU[39]» balisent une multitude de sculptures hétéroclites en matériaux de tout genre, mais toujours pauvres : des poupées cassées, des peluches et jouets de toutes sortes accrochées dans les arbres, ou couchés sur la terre. Indescriptible caverne d’Ali Baba à ciel ouvert, Chomo, barbe blanche et monture de lunettes ornée d’une croix, revendique la pauvreté qui lui permet la plus grande liberté pour mener à bien son œuvre. « Je suis riche de pauvreté, ils sont pauvres de richesses[40]» écrit-il. Chomo s’est retiré du monde pour créer librement mais le monde est venu à lui. D’innombrables visiteurs, des plus célèbres aux plus anonymes sont allés rencontrer cet étrange ascète, sorcier et guérisseur, qui pensait que notre civilisation allait à sa fin, prônait le retour aux sources et la renaissance spirituelle. Mutants, extra-terrestres, Christs et Madones, la mythologie de Chomo, dérangeante pour certains, fait de l’art le chemin le plus court vers la spiritualité. « L’artiste est un médium disponible à toutes les sensibilités, un illuminé guidé par l’invisible[41] ». Chomo, artiste fascinant, homme entier et sans compromis face à cette société de consommation qu’il exécrait, choisissant la pauvreté comme prix à payer pour sa liberté et la rédemption par l’art, s’est éteint à l’âge de 92 ans, le 19 juin 1999.

Chez Chomo, l’œuvre semble revendication : personnelle, politique, spirituelle. Elle a valeur de « rêve », véhiculant ses désirs intimes, canalisant ses pulsions intérieures, donnant forme au chaos. Sa récupération frénétique et ses accumulations nous paraissent résonner avec l’idée de la « perte ». Son retrait du monde, monde qu’il juge déshumanisé, nous évoque la « place » que l’on s’y accorde. L’expression, dépositaire de l’intime, lui offre alors un refuge bienveillant, un « lieu » crée à son image, où tout est possible.

            Ces quelques pas en compagnie de Louise Bourgeois, Rustin et Chomo, nous démontrent qu’à travers l’œuvre, l’artiste, par le biais de la codification et de la symbolisation, dépose sentiments et pensées, dévoile rêves et désirs, transpose peurs et colères. Il nous révèle l’expression de son intime, nous invitant au partage en s’inscrivant dans le monde.

 

 

1.4 Les ateliers d’expression à médiation  en institution et en ville: Cadres, dispositifs et rôle de l’animateur d’atelier

 

« Atelier d’expression, lieu de l’intime ». Claude Sternis. [42]

            L’atelier d’expression à médiation offre au sujet un lieu protégé favorisant l’émergence d’une  production à valeur symbolique. Pour que cette « pulsion à créer ( gestaltung) » dont nous parle Prinzhorn puisse advenir, cadre et dispositif sécurisants sont nécessaires. Broustra nous parle de « scène où se met en jeu le procès de l’expression[43] ». Le cadre est « contenant » au sens de « portage et de limitation [44]». Sternis  nous définit la fonction « contenante » au sens  de « portage » et de « limitation », se référant aux termes de « holding » et de « setting » de Winnicott. 

-La notion de « portage » (« holding »):  porter, aider, permettre et protéger le sujet en « instaurant l’illusion partagée où le sujet est soutenu et accompagné dans sa régression[45] ». 

- La notion de « limitation » : l’ensemble des règles de l’atelier (interdits) qui permet au sujet d’accepter « la désillusion », la réalité.

Le cadre fait loi. Les animateurs en sont les garants et en en maintenant la sécurité (confidentialité et protection du cadre contre les intrusions extérieures) et la permanence par sa ritualisation, ils offrent ainsi à la personne un espace sécurisé et fiable. Le dispositif tant par le matériel proposé que par la présence/disponibilité du ou des animateurs permet de susciter l’envie du participant au « faire » favorisant ainsi la mise à jour de l’expression, sans jugement ni attente. Le résultat esthétique  n’est ici pas le propos mais plutôt le processus d’ « expérience vécue [46]» personnellement et partageable au groupe faisant lui aussi fonction d’enveloppe. Un temps de parole en début et fin de séance, temps d’échange et de mise en mots où le participant peut parler s’il le désire, de ses émotions et ressentis éprouvés en s’autorisant à mettre à jour ce qui s’est joué pour lui à l’intérieur, encadre en général le temps de production. C’est aussi le temps du regard : regard sur soi par le biais de l’expression plastique permettant alors une possible mise à distance et regard du groupe, témoin de la trace de sa présence au monde. En fonction de l’objectif de l’atelier (thérapeutique, lien social, développement personnel) et de la population accueillie, les animateurs  peuvent adapter cadre et dispositifs.

 

I.4.1 L'atelier d'expression à médiation en institution à visée psychothérapeutique ou lien social.

 

 En général, nous pouvons distinguer deux formes d’ateliers d’expression en institution, dont les objectifs diffèrent :

-Les ateliers d’expression à visée psychothérapeutique dont l’objectif est d’entrer en relation avec le patient et son monde intérieur en utilisant les médiateurs (peinture, argile, collage) comme vecteurs d’une élaboration des processus psychiques du sujet.

-Les ateliers d’expression à visée  lien social/redynamisation dont l’objectif est de valoriser la personne, favoriser l’estime de soi et la création/recréation du lien à soi-même et à l’autre.

Toutefois, dans les deux cas, « entrer dans un atelier d’expression doit inspirer à la fois un sentiment de sécurité (cadre) et le désir de risquer des formes ( gestaltung) [47]» nous dit Broustra. Ce sentiment de sécurité que crée un cadre « contenant » au sens de « portage » implique, en général, la confidentialité, le non-jugement, le respect de soi et de l’autre visant à protéger la personne en favorisant sa capacité à symboliser. Le plus souvent, le groupe est « fermé », ce qui implique qu’aucun autre patient, hormis ceux qui se sont engagés à y participer pour une durée déterminée, ne puisse le rejoindre en cours d’année.  Quand un participant est manquant, on signifie sa « présence/absence » par sa chaise vide. L’accompagnement « aidant mais non influent », comme le préconise Rogers basé sur l’écoute, la non-directivité (en particulier dans les ateliers à médiations plastiques) et l’empathie permet au sujet de trouver son propre rythme et de respecter le temps qui lui est nécessaire pour la mise à jour de sa propre expression. Le destin des productions peut aussi varier en fonction de l’objectif de l’atelier. Dans l’atelier d’expression psychothérapeutique, en général, les productions ne sortent pas à l’extérieur et sont conservés à l’atelier. Dans l’atelier d’expression à visée lien social dont l’objectif serait la valorisation/re-narcissisation du sujet les productions peuvent parfois être emportées et une exposition en fin d’année peut être envisagée en accord avec le participant. En institution, qu’ils soient à visée psychothérapeutique ou lien social l’indication est généralement prise par l’équipe institutionnelle en fonction du projet individualisé de chaque patient. Mais pour qu’elle soit opérante, il est nécessaire que celui-ci puisse donner son accord, ou non à cette prise en charge.  La fonction « limitation » institue les règles qui permettent la permanence du cadre : horaires et lieu fixes, rituels d’ouverture et de fermeture de la séance par un temps de parole encadrant un temps de production, engagement des participants à assister à toutes les séances pour la durée préalablement déterminée, limitation de la violence sur la personne ou le groupe, respect du lieu et du matériel. Dans les ateliers d’expression  psychothérapeutique  les séances peuvent être plus courtes que dans les ateliers d’expression  versant lien social  permettant un travail sur l’acceptation à la frustration, phase de désillusion (« limitation /setting») faisant suite à celle de l’illusion (« portage/holding »), condition sine qua non à la constitution du je-sujet. Le dispositif, hormis le matériel proposé (peinture, argile, collage..) s’entend aussi en terme de disponibilité des animateurs  tant dans leur écoute, présence, intérêt et respect au patient tout en gardant la distance nécessaire afin que ce dernier puisse se sentir libre dans la manifestation de ses identifications, projections, désirs, rejets. C’est ce que Rogers nomme « sympathie froide ». En général, une co-animation, métaphore du couple parental, semble favoriser les mouvements transférentiels des usagers. Le plus souvent, un temps de  post-groupe, confidentiel lui aussi, permet aux co-animateurs de parler des contre-transferts ressentis  ainsi que des interactions du groupe au cours de l’atelier. Une prise de notes détaillée du déroulé de la séance pour chaque participant permettra de mettre en sens et d’en garder trace pour faire lien. Des supervisions extérieures pourront également leur offrir un espace où « déposer » l’émotion et élaborer leur clinique en se référant à la théorie tout en favorisant ainsi une relative « mise à distance » nécessaire et bénéfique  à l’accompagnement de leurs usagers.

Cela dit, en fonction des institutions et des protocoles propres à chacune d’elles, tant pour les ateliers à médiations psychothérapeutiques que pour ceux à visée lien social, les notions de groupe « fermé, confidentiel, sans directivité ni exposition et avec temps de parole » restent optionnelles.

 

I.4.2 L'atelier d'expression à médiation en ville à visée  développement personnel.

           

            Dans un atelier d’expression à visée « de développement personnel » en ville l’objectif est de favoriser l’estime et la connaissance de soi revêtant alors une fonction de travail sur soi. Il s’adresse à un public « tout venant ». C’est pourquoi le cadre peut s’assouplir tout en maintenant les fonctions « contenantes de  portage  et de  limitation », fonctions sécurisantes, permettant à l’usager d’être suffisamment en confiance pour être au plus proche de lui-même et de ses ressentis, plus en contact avec ses pensées, soutenant l’émergence de son expression créatrice. Dans un tel cadre la parole peut circuler plus librement ou être encadrée par des temps de parole plus ou moins présents bien que tout aussi importants. Les productions appartiennent aux usagers qui sont libres de les emporter, de les jeter si besoin est ou encore de les laisser à l’atelier tout en sachant qu’elles ne seront pas conservées. Le groupe peut être « fermé » (engagement des même participants sur un temps donné) ou « ouvert », impliquant alors que les usagers ne soient pas obligés de venir à chaque séance soit un engagement ponctuel et autonome. Les séances peuvent être plus longues, laissant plus de place aux temps d’expression. Le dispositif matériel peut aussi être plus riche et plus varié, mêlant les médiateurs, généralement appelés ateliers polyvalents (exemple : peinture et  argile), afin d’offrir un choix plus large aux participants et susciter l’appétence. Ce qui n’empêche aucunement l’aide, l’écoute et la bienveillance du ou des animateurs. Le choix d’une animation seule est envisageable bien que la co-animation enrichisse aussi l’échange tant pour le groupe que pour les animateurs eux-mêmes. Tout comme dans l’institution, si l’atelier en ville est co-animé, des séances de post-groupe seront envisagées et si l’atelier n’est animé que par un animateur une prise de notes régulière et détaillée sera bénéfique à toujours et encore « rêver et penser » l’atelier. Dans les deux cas de figure, un espace de supervision extérieur, faisant fonction de tiers permettant mise à distance et mise en mots des ressentis de l’animateur sur sa pratique favorisera un bon accompagnement de ses usagers. Ces adaptations possibles du cadre et du dispositif en fonction des objectifs de l’atelier visent, quelles qu’elles soient, à rendre possible l’émergence de l’expression tant plastique que verbale du sujet en toute liberté et en toute sécurité.

           

            Pour conclure cette approche théorique et à travers ce que nous avons parcouru nous pouvons dire que quelque soit la population, en situation de handicap ou non, artiste ou non, la pulsion à créer des formes, cette « gestaltung », est présente en chacun de nous. Un cadre suffisamment sécurisant doublé d’un accompagnement bienveillant favorisera l’émergence de l’expression, dépositaire peu ou prou de nos sentiments, pulsions, ressentis, conscients ou inconscients. Elle offre ainsi au sujet un « lieu de repos », cette « aire transitionnelle » Winnicottienne. Par le biais de la représentation, l’expression, véhicule de l’intime, permet l’accès au « symbolique » et à la « sublimation » au sens Freudien : « transmuter l’énergie sexuelle en intensité créatrice[48]» et offre à la personne une possibilité de transformation. La trace graphique donne alors forme à ce qui se joue à l’intérieur, puis en la projetant à l’extérieur au regard de l’autre permet de se sentir sujet de sa vie et sujet au monde.

 

 

 

Chapitre II : Approche clinique

 

II.1 Méthodologie: les outils.

 

            Pour aborder cette approche clinique nous nous sommes appuyés sur des questionnaires/entretiens  réalisés auprès d’animateurs d’atelier et d’artistes.  Nous leurs avons soumis le questionnaire auquel ils étaient libres de répondre à toutes ou partie des questions et pris note de leurs réponses in extenso. Deux ont eu lieu dans le cadre d’une rencontre informelle, les quatre autres ont été réalisés par téléphone. Nous leur avons garanti la confidentialité de leurs noms, de celle de leurs usagers ainsi que des institutions dans lesquelles ils travaillent. Nous leur avons également spécifié l’accessibilité à ce mémoire, s’ils le désiraient.

  • Trois animateurs-thérapeutes d’atelier d’expression de différentes professions et de formation initiale artistique ou soignante : un artiste/art-thérapeute, un éducateur spécialisé et un infirmier. Chacun d’eux, animant un ou plusieurs ateliers a été libre de choisir celui qui lui semblait le plus pertinent, en fonction de la population ou du médiateur utilisé. Tous les ateliers dont il est question utilisent la médiation plastique (peinture ou argile).
  • Trois artistes professionnels : deux peintres et un plasticien.

            Suite au recueil de ces six témoignages, nous nous sommes employés à en extraire une synthèse propre à chaque « catégorie » afin d’en dégager une discussion concernant le cadre des ateliers et leurs objectifs pour les animateurs-thérapeutes et la manifestation de l’intime dans l’expression des artistes.

            Nous avons également utilisé nos prises de notes personnelles de trois ateliers d’expression dont nous avons dégagé des vignettes cliniques.

  1. Dans une association accueillant des adultes en situation de handicap psychique où nous avons été stagiaire co-animatrice dans un atelier peinture, pendant une année scolaire.
  2. Dans un IME accueillant entre autres, des jeunes adultes autistes et dans le cadre de notre stage pour la formation d’animateur-thérapeute d’atelier à Asphodèle, dans un atelier peinture en co-animation avec une éducatrice spécialisée, pendant une année scolaire.
  3. Lors de journées mensuelles que nous animons dans notre atelier accueillant des personnes « tout venant ».

            Nous parlerons des ateliers au sein de leurs « méta-cadres » respectifs puis aborderons leurs déroulements au cours de l’année et terminerons par une vignette clinique (plus une en appendice)  pour chacun d’eux basées sur nos prises de notes.

 

 

II.2. Résultats et discussion des questionnaires/entretiens

 

II.2.1. Animateurs d’ateliers à expression plastique en institution s'occupant entre autre d'autistes

 

Un artiste/art-thérapeute [1], un éducateur [2] et un infirmier [3], animant un ou plusieurs ateliers se sont prêtés à ce questionnaire/entretien. Ces ateliers s’adressent à des populations variées tant par l’âge: enfants, adultes et personnes âgées, que par la pathologie : surdité avec handicaps associés, dépression, schizophrénie, déficiences mentales, autisme, poly-pathologies associées. Ces ateliers ont lieu en CATTP (centre d’adaptation thérapeutique à temps partiel) dépendant d’un hôpital psychiatrique [1], en institution pour enfants sourds [2] et dans une unité de soin longue durée au sein d’un hôpital de l’assistance publique [3]. L’un est un atelier peinture [1], les deux autres sont des polyvalents plastiques, sans terre [2, 3]. Chacun de ces ateliers sont de type  à visée « lien social » parfois appelés « à effet thérapeutique »,  recevant une population mixte dont les objectifs sont la revalorisation/re-narcissisation, développement et utilisation des capacités et de l’autonomie, travail sur la dynamique de groupe, ouverture et lien vers l’extérieur. Chacun des trois participants pratiquent la peinture (entre autre) pour eux même. En ce qui concerne le cadre et le dispositif, la participation à l’atelier se fait sur indication de l’équipe institutionnelle [1, 2, 3]. Deux sont des ateliers fermés [1, 2], l’autre est un atelier ouvert [3]. Concernant l’engagement dans les ateliers fermés, l’un est sans durée déterminée préalablement [1], l’autre courre sur une année scolaire [2]. La durée de l’atelier, hebdomadaire, est de 2 h pour l’un en animation seule [1] et d’1 heure pour l’autre en co-animation. Concernant les productions, dans l’un, un thème commun est proposé mais non obligatoire et certaines des productions peuvent sortir pendant l’année. Une exposition est organisée en fin d’année à laquelle la participation est libre [1]. Dans l’autre, le temps d’expression est non directif et les productions conservées à l’atelier durant l’année peuvent être emportées à la dernière séance [2]. Le troisième est un atelier ouvert sur inscription pour la semaine suivante d’une durée d’1h30 et en animation seule. Les productions peuvent rester à l’atelier ou être emportées. Les participants sont informés en début d’année d’une possibilité d’exposition en fin d’année scolaire s’ils le souhaitent. Auquel cas, la décision, collégiale, aura lieu au cours du troisième trimestre. Pour les trois ateliers, un temps de parole ritualisé ouvre et ferme la séance, encadrant un temps d’expression. A la question de l’ « effet » que peut avoir l’expression sur l’usager, les animateurs-thérapeutes nous parlent de «l’estime de soi, pour soi-même et aux yeux des proches [1]», « de changements remarqués dont pour certains un début d’individuation et moins d’adhésivité [2]», ou encore « d’une amélioration du quotidien en lien avec la conscience/reconnaissance de l’identité, qui s’exprime et persiste en dehors de l’atelier [3]». Chacun d’eux s’accorde à dire que l’intime surgit presque toujours dans les productions, consciemment ou non, pouvant revêtir un effet douloureux, libérateur et/ou bénéfique mais « pas à part égale et bien que ce ne soit pas un des objectifs de l’atelier [3]». Si effet il y a, parfois « livré dans l’instant, à bâtons rompus [1]», il n’est pas parlé avec la personne mais est « accueilli et permet ainsi d’être validé [3]». « Il n’en est fait aucun commentaire [2] » mais cela peut-être repris par le groupe dans le temps de parole : « si ça vient, tant mieux [1]». Cet effet serait alors « plutôt libérateur car  l’atelier offre un espace supplémentaire pour s’exprimer d’une manière différente de la parole, plus libre, plus ludique, plus spontanée [2] » et « bénéfique dans le sens où il permet une conscientisation de leur capacité à faire, à dire symboliquement [1] ». L’interaction du groupe n’est pas toujours favorable à l’émergence de l’intime car « certains restent dans leur bulle [2] ». « La parole semble ne s’adresser parfois qu’à l’animateur mais s’adresse en fait au groupe. L’animateur est un passeur [3] ». Néanmoins, bien que le groupe ne soit pas toujours facilitateur, « il est touché par ce qui surgit de l’autre [1] » et laisse apparaître de nombreux jeux « de miroir [1,2] ». Les trois animateurs-thérapeutes s’accordent à dire que leur posture, bien qu’empathique et garante du cadre, leur permet une « mise à distance» [3] de leurs propres affects, posture nécessaire pour pouvoir aider et accompagner au mieux leurs usagers : « touché mais pas envahi.[2] » Par ailleurs, pour parler de leurs contre-transferts, ils trouvent l’écoute nécessaire auprès d’une « personne ressource [3] », d’échanges avec « d’autres soignants [1] », de « supervisions régulières » [2 et 3] ou encore « les transposent dans la création [1]. » A la question ce que leur « apporte » d’animer un atelier et de ce qu’ils en « attendent », le « prendre soin » est prépondérant chez chacun d’eux, utilisant l’atelier d’expression à médiation comme un « outil supplémentaire, transitionnel, dans la fonction de relation d’aide à la personne [3] », permettant de « regarder et respecter l’autre pour ce qu’il est et ce qu’il fait, sans jugement et ainsi lui donner la possibilité de ressentir qu’il est quelqu’un et qu’il a une valeur [2] » afin d’« ancrer comme une évidence [3] l’importance de l’humain et le mettre au centre [2] ». Quant à l’évocation d’une situation particulière il a été parlé de la différence notable vécue par l’un d’entre eux sur la difficulté d’une animation seule comparativement à la richesse de la co-animation tant pour les animateurs que pour les participants : « ça change tout [2]». Dans l’atelier d’expression « des choses se déposent, des paroles importantes pour ces personnes leurs permettant de laisser une trace reconnaissable d’elles-mêmes et de prendre à nouveau les rennes de leurs vies [3] ».

            A l’issue de ces trois entretiens nous pouvons dire que les ateliers d’expressions qu’ils soient « ouverts » ou « fermés », avec possibilité d’exposition ou non,  offre à la personne un espace sécurisé et contenant dont les animateurs sont garants, favorisant ainsi qu’une part d’intime puisse être déposée dans la production, verbalisée et conscientisée dans les temps de parole en appui sur la dynamique de groupe.

           

II.1.2. Artistes

 

Ces questionnaires/entretiens ont été menés auprès de trois artistes plasticiens professionnels : deux peintres et un sculpteur. L’un a fait les Beaux-arts, le deuxième une académie de peinture à laquelle il appartient toujours, le troisième est autodidacte. Ils exercent tous trois ce « métier » depuis plus de vingt ans. Chacun d’eux utilisent un ou plusieurs médiateurs : peinture (acrylique sur toile, aquarelle, gouache, encre), dessin, collage [1], peinture (huile, acrylique sur toile) [2], cire (en vue de fonte en bronze), argile, papier mâché, peinture (acrylique sur toile) [3].  L’un qualifie le stylo et l’aquarelle sur papier comme « spontané, naturel et intime comme le jeu : je respire [1] ». L’autre préfère l’huile à l’acrylique : « d’un résultat supérieur car  plus souple, plus transparent, plus lumineux [2] ». Quant au sculpteur, c’est à l’argile que va sa préférence, pour « la sensation physique qu’elle procure, la sensualité qu’elle dégage  [3] ». En ce qui concerne la question d’à quoi sert, selon eux, l’expression, l’un parle de « sublimer, combler, restaurer, réparer l’image de soi  [2] », « d’exprimer par le geste ce qu’on ne peut exprimer verbalement  [3] » ou encore « à me faire surprendre par ce que je découvre de moi et permettre de s’introvertir, de se recentrer, de se rassembler [1] ». L’enjeu peut être de se « dévoiler d’une certaine façon pour se laisser découvrir par l’autre [3] » ou encore « de véhiculer une image positive de soi, être acceptée, être aimée de l’autre [2] ». Au sujet de la finalité projetée de l’œuvre, deux d’entre eux n’ont aucune idée de ce qu’elle sera : « perdre pied et dérouler la pelote de l’idée initiale [1] ». Le troisième dit « avoir une idée d’ensemble précise mais souhaiterait pouvoir s’en défaire [2] ». Quant au résultat final effectif, ils disent être toujours surpris. « Les objectifs ayant valeur symbolique, le résultat, en fonction de son échelle de valeur personnelle peut s’avérer au-dessus ou au-dessous de ses attentes  [2] » pour l’un. Pour l’autre, « c’est le but, si ça ne me surprend pas, ça n’a pas d’intérêt [1] ou encore « parfois, ça me fait rire, je me surprends moi-même de rire de mon travail [3] ». Tous trois s’accordent à dire qu’ils ne maitrisent rien. Même la maitrise technique est toute « relative [2] ». « Ne rien maitriser, c’est la vraie maitrise [1] ». L’intime dans l’œuvre peut s’exprimer par « des jeux visuels surréalistes» [2] ou plus « inconsciemment, laissant transparaitre une partie de moi qui n’apparaît pas forcément au quotidien, et de prime abord, lorsqu’on ne me connaît pas [3] ». Mais quoiqu’il en soit c’est toujours « moi-même : passé, présent et à venir [1] ». Ce qui est à l’œuvre dans l’expression c’est « la sincérité et l’authenticité [1] », « mon amour de la vie. En créant je lie le vivant, j’anime l’inanimé [2] », « c’est vital, créer est ma respiration naturelle [3] ». Le regard de l’autre porté sur l’œuvre, attendu et nécessaire, est plutôt bien vécu d’autant qu’il permet l’échange. Quand il est positif, il est « gratifiant et valorisant [2] », « nourrissant  [1] » mais il faut aussi « garder un certain recul et l’accepter quand il ne l’est pas, d’autant qu’on ne peut pas plaire à tout le monde [3] ». Le regard de l’autre « met en danger, mais pas en péril. Parfois il peut faire mal mais il fait aussi se sentir vivant [1] ». La technique, le savoir-faire, peut alors agir comme « un bouclier, protégeant l’artiste du regard malveillant pouvant lui renvoyer un sentiment de rejet, d’abandon, voire de négation de soi à travers l’autre [2] ». L’œuvre parle de l’artiste en filigrane en transposant « son histoire de vie [3] » suscitant chez l’autre mise en mots et/ou émotions, ouvrant ainsi la porte à « un imaginaire commun [2] ». Cette relation « intime, profonde et sincère [2] » véhiculée par l’œuvre, « facilitatrice  [3] », permet de s’autoriser à un dévoilement symbolique de part et d’autre dans une relation équilatérale du « prendre et donner [1] ». 

Le « but » d’une œuvre serait donc « l’obtention d’un équilibre psychique positif pour soi conduisant au bonheur [2] », permettant un « transfert de plaisir d’une personne à une autre [3] » par le biais de la « découverte de soi [1] ». A l’évocation d’une situation particulière à laquelle ils avaient pu être confrontés, l’un a fait référence à « l’échec d’un certain changement  malgré  l’envie ou le besoin de  faire autrement et de  remettre en cause certaines choses auto-établies [2] », entrainant une « frustration, certes, mais surmontable [3] ».  Le troisième évoque la « sensation de flotter pendant que les mains font, nourrissant l’esprit » et compare la création « à une méditation où problèmes et angoisses se dénouent pour, parfois, accéder à l’extase [1] ».

Nous voyons au travers des réponses de ces trois artistes combien l’expression est vitale pour eux nous renvoyant à cette notion de « gestaltung », pulsion créatrice. L’œuvre, dans un jeu de caché/montré offre un exutoire salutaire, réceptacle de l’intime. Puis, offerte au regard, médiatrice du soi au soi et du soi à l’autre, elle crée un pont symbolique inscrivant l’artiste, sujet au sein du monde.

 

II.3. Vignettes cliniques.

           

            Ces vignettes cliniques sont issues de nos prises de notes personnelles dont nous avons extrait les citations respectives des usagers pendant l’atelier ainsi que nos ressentis/contre-transferts d’animateur. Ces prises de notes, privées, nécessaires à notre réflexion et élaboration personnelle ont toutes été retranscrites « à chaud », après le temps d’atelier. Nous étions co-animateur dans les deux premiers ateliers d’expression présentés (l’association et l’institution) et en animation seule pour le dernier (atelier en ville). Pour respecter la clause de confidentialité du cadre des ateliers d’expression, nous avons modifié les prénoms des participants.

 

II.3.1.  Atelier peinture dans une association recevant des adultes en situation de handicap psychique:

 

II.3.1A - L’association

            L’association est née en 1976 du constat d’une  mère désireuse d’aider sa  petite fille « singulière, à évoluer au mieux en enrichissant son potentiel sensible et affectif[1] ». Suite à une expérience positive dans un atelier de peinture animé par un peintre professionnel au sein d’un établissement spécialisé, la réponse de la « création artistique » entraine la naissance de l’association. L’animation de ses ateliers est confiée à des artistes (assistés d’un stagiaire), ayant « une démarche propre dans l’exercice de leur art. Leur mission est d’accueillir la personne handicapée, d’être à l’écoute de ses aspirations, de l’aider à vaincre ses inhibitions, d’éveiller son désir d’être, d’exister, de la stimuler et de l’accompagner pour qu’elle dépasse ses limites, en mettant à sa disposition les moyens techniques, l’outil qui lui permet de s’exprimer : la couleur, la parole, le geste, les rythmes, la musique.[2] » Les artistes- stagiaires bénévoles accompagnant les artistes-animateurs, s’engagent pour une année scolaire et pourront, suite à cette formation, postuler pour devenir à leur tour, artistes-animateurs. 75 ateliers (peinture, argile, danse, théâtre, musique, conte, mime), sont proposés aux adhérents (500 accueillis par an) adultes en situation de handicap psychique. Pendant les vacances scolaires, des stages sont aussi mis en place, palliant ainsi la fermeture des ateliers. Les usagers viennent, pour certains, de façon autonome, beaucoup sont accompagnés par leur parent, ou encore par la structure de soin ou l’institution dont ils dépendent (CAT, foyers de jour…). Des contrats sont passés entre l’association et les institutions pour une durée d’une année pouvant être renouvelée. Les pathologies sont mixtes (autisme, psychoses, trisomie 21, handicaps associés, troubles du comportement) mais l’artiste-animateur n’en a pas connaissance. L’association n’ayant pas vocation de soin mais celle de « favoriser l’inclusion et la valorisation des personnes dans le plaisir partagé[3]», aucune anamnèse ni diagnostic médical ne sont communiqués. Les ateliers sont ouverts, pouvant accueillir dix à douze personnes. Des sorties et visites au théâtre, musée, ainsi que des expositions et représentations sont organisées régulièrement. A cette occasion et en ce qui concerne l’atelier peinture, les productions sont proposées à la vente, dont une partie revient à l’ « artiste ». En amont, une présélection des productions est faite par l’artiste-animateur, discutée en équipe et avec l’accord de la personne. Les productions sont conservées dans les locaux, chaque usager disposant d’un carton à dessin nominatif. En fin d’année et sur leur demande, une sélection de certaines d’entre elles peut être emportée. Nous pouvons donc « étiqueter » ces ateliers comme « à visée lien social ».

 

II.3.1 B - L’atelier peinture: cadre, dispositif et déroulé de l’année.

            L’atelier peinture a lieu le lundi de 14h à 16h. Sept participants y sont accueillis en début d’année. Deux autres personnes arriveront en janvier. La fourchette d’âge se situe entre 30 et 60 ans. Une personne est toute nouvelle venue, deux autres y  reviennent après un temps d’absence, les quatre dernières participent à l’atelier depuis 10 ans. Une de ces personnes n’a aucune pathologie psychique mais entend mal, ce qui, dit-elle, « lui donne un sentiment d’exclusion. L’atelier lui convient car elle s’y sent en confiance avec l’artiste-animateur ». En début de séance, chacun (certains sont déjà présent dans les locaux car ils y déjeunent), choisit sa place librement (bien qu’ils s’installent toujours au même endroit). Pendant ce temps, pots de gouache, bassine d’eau, bocaux, palettes, pinceaux de toutes sortes, feutres, pastels gras, crayons de couleur, colle, ciseaux, règles sont installés par les co-animateurs sur une grande table dévolue à cet usage, en fond de pièce. Des feuilles blanches et de couleurs de format raisin, papiers de soie, crépon, sont à disposition sur des étagères jouxtant la table de matériel. Des journaux, revues de tout genre (automobile, mode, fleurs) sont disponibles et des livres d’art sont rangés dans une petite armoire à laquelle seuls les animateurs ont accès. Le point d’eau (cuisine) est dans une pièce séparée. Les tables sont disposées en U avec une espace central qui permet aux animateurs de circuler vers chacun mais l’un des participants s’installe toujours sur une table indépendante, qui fait face au « U » et en quelque sorte, le ferme. Le rituel d’entrée est d’enfiler sa blouse, co-animateurs inclus. En début d’année, le groupe se connaît donc déjà en majeure partie. Une fois le matériel installé chacun choisit feuille et outils. Peinture et dessin sont libres mais parfois le participant, en attente de suggestions, réclame l’aide d’un animateur. Celui-ci peut alors lui proposer de développer ce qu’il a commencé lors de la séance précédente ou lui suggérer de s’appuyer sur des images de magazines (découper/coller), voire de livres d’art (copier). Certains semblent savoir parfaitement bien ce qu’ils veulent faire mais réclament une aide technique. C’est ainsi que l’un d’eux a travaillé toute l’année sur le collage d’images : au début à l’aide d’images de catalogues puis assez rapidement sur des photos et cartes postales personnelles qu’il ramenait à l’atelier. Il a peu à peu acquis au cours de l’année une technicité de mise en page entre photomontage et bande dessinée. Ses sujets récurrents étaient les maisons, les voitures et les filles en y intégrant des bulles dans lesquelles il donnait voix aux personnages. Une autre participante, très agitée et volubile réclame sans cesse l’attention des animateurs dans un besoin irrépressible de parler, les harcelant de questions, leur demandant « pourquoi je n’arrive pas à me contrôler, comment faire pour me contrôler »? Nous notons que le groupe en est fortement déstabilisé, pouvant alors faire voler en éclat chacun d’eux. Certains participants très calmes et très doux sont envahis par ces moments où l’autre est en souffrance et le manifeste. L’objectif de l’atelier est axé sur la production. Certes, la parole circule librement entre les participants et les animateurs mais est toujours recadrée sur la production. Le groupe est assez disparate tant dans ses capacités graphiques que dans ses réactions émotionnelles mais il reste bienveillant. Certains en recadre d’autres quand ceux-ci perturbent trop la séance, prenant parfois le relais (rôle ? place ?) des co-animateurs. Les productions peuvent être retravaillées sur plusieurs séances, parfois sur suggestion de l’animateur de la continuer pour qu’elle soit plus « aboutie ». En fin de séance, les productions restent sur la table ou sont posées au sol pour le temps de séchage. Après le départ des participants les co-animateurs se chargent  du rangement et du nettoyage de la salle, tout en échangeant d’une façon informelle, sur ce qui c’est passé pendant l’atelier. Au retour de chaque séance d’atelier, nous prendrons notes personnellement du déroulé de l’atelier, des mouvements du groupe ainsi que de nos émotions et ressentis le concernant.

 

II.3.1 C - Couture, peinture et créativité d’Amélie

            Amélie est une adulte autiste, d’environ quarante ans et fréquente l’atelier peinture depuis de nombreuses années. Amélie est accompagnée de sa mère et participe à de nombreux et différents ateliers au cours de la semaine.  Sa stature est imposante, ses gestes nerveux, elle pousse des cris plus ou moins fort dès que l’on s’approche trop près d’elle (en début d’année, ne nous connaissant pas, elle ne supportait pas de nous croiser dans la cuisine, espace exigu où les corps risquaient de se toucher). Nous notons que son regard ne croise jamais celui de l’autre, sa parole est déformée passant des aigües aux graves, difficilement compréhensible. Cependant lorsqu’elle souhaite communiquer à propos de sa production, celle-ci devient plus claire. Amélie déboule dans l’atelier. Un bonjour tonitruant lancé à la volée et accompagné d’un pas vif alerte et décidé avec un soupçon d’agressivité latente, Amélie fonce droit devant elle, jusqu’à son but. Du reste, toute personne se trouvant sur son chemin, s’écarte pour la laisser passer. Son visage est fermé, les yeux toujours baissés. Elle accroche son manteau, revêt sa blouse et fonce dans la cuisine pour y prendre ses boites à trésors. Car Amélie, chez elle, coud et assemble de petites bandes de tissus qu’elle rapporte et laisse à l’atelier, éléments ainsi disponibles à sa création pendant les séances. Elle choisit une feuille, le plus souvent de couleur, accapare un tube de blanc, de doré, parfois du bleu ou du vert, un pinceau, de la colle, et s’installe alors à sa place habituelle, étalant son matériel sur toute la surface de la table. Pendant les deux heures que dure l’atelier, Amélie ne lève pas une seule fois le bout de son nez de sa feuille. Paraissant complètement investie, concentrée sur sa production, elle semble ignorer ce qui se passe autour d’elle, hormis, parfois, si un des participant, particulièrement  perturbé, ne vienne à la déstabiliser. Auquel cas, le visage cramoisi, elle pousse des cris, ne tenant  plus en place, ses gestes, incontrôlés, devenant agressifs. Cependant, à plusieurs reprises, comme nous nous occupions de son voisin, nous avons pu constater qu’à la dérobée, elle paraissait  nous écouter attentivement tout en jetant, par-dessus son épaule, des regards furtifs. Petit à petit Amélie a accepté notre présence et bravé ce sentiment de peur de l’inconnu que nous lui inspirions. Nous avons même réussi à communiquer à plusieurs reprises sur sa production. Et production il y eut ! Amélie peut réaliser jusqu’à 8 ou 9 collages dans les deux heures imparties. Elle associe collage de ses « patchworks », peinture, gommettes de couleur et de formes différentes, toutes sortes de papiers (bonbon, papiers cadeaux, dorés…) qu’elle rapporte également de l’extérieur et même parfois l’écriture d’un mot. Nous notons qu’Amélie parait savoir très exactement ce qu’elle fait, ne s’appuyant jamais sur les animateurs, ne quémandant jamais d’aide, elle trace sa route. Sa production graphique se décline par thématique qui semble se dérouler jusqu’à un point décidé par elle-même pour ensuite basculer sur un autre cycle, donnant lieu à penser qu’une une fois la problématique en cours résolue, elle s’appuie sur celle-ci pour donner naissance à la suivante. Les peintures/collage d’Amélie paraissent faire sens pour elle mais restent pour nous très énigmatiques, semblant codifiées et tout comme sa personne, inaccessibles. Bandes, carrés, escaliers, dispersés dans la feuille, délimitent l’espace, le cloisonnant sans aucun lien ou passage et où seul le collage d’une femme découpée dans un magazine, apparaît. La communication y parait totalement absente voire impossible. Mais pour autant, les productions d’Amélie semblent tisser des liens, assembler, symboliser sur le dedans et le dehors : les patchworks faits à la maison pour l’atelier (assemblage de divers bouts de tissus entre eux), la colle ( qui  prédominant dans son expression) et tous ces éléments ajoutés. Nous nous sommes demandé si l’expression graphique d’Amélie pouvait avoir valeur de réunification/ reconstruction ou encore favoriser à maintenir une cohérence intérieure, ciment plastique seul capable de la lier au monde, trace témoignage, revendication de sa place et de sa valeur (Amélie expose et vend ses productions par l’intermédiaire de sa mère). A la fin de l’atelier, Amélie jonche le sol de ses productions encore fraiches de peinture et de colle, range précautionneusement sur les étagères de la cuisine ses boites à trésors, nettoie vigoureusement et avec méticulosité sa table de travail et d’un pas décidé, récupère son manteau. Déjà prête quand sa mère arrive, elle tourne le dos à l’atelier et sort sans un au revoir.

            Il nous a paru qu’Amélie investi  l’expression comme un « lieu » symbolique, dépositaire de son monde intérieur. Ses productions nous évoquent l’accès à un espace imaginaire et contenant permettant une projection de sa représentation dans le monde et transformant peut-être des pulsions toxiques en une créativité débordante où le plaisir est possible. L’expression d’Amélie pourrait alors avoir valeur de « sublimation » au sens Freudien du terme soit de transformer la force de la pulsion sexuelle en pulsion créatrice.

 

II.3.2  Atelier peinture dans un I.M.E recevant de jeunes adultes autistes:

 

II.3.2 A - L’institution

            L’IME (institut médico-éducatif) reçoit des jeunes de 6 à 20 ans. Une section médico-pédagogique (IMP) accueille une trentaine d’enfants de 6 à 14 ans. Une section médico-professionnelle (IMPro) accueille environ une soixantaine de jeunes de 14 à 20 ans répartis en trois sous-sections (Pro1, Pro2, Pro3) en fonction de leurs niveaux et de leurs difficultés. Les apprentissages techniques ainsi que les groupes de parole, d’expression et de communication sont l’axe central de l’institution qui met  en place un projet individualisé pour chaque jeune avec un emploi du temps hebdomadaire, adapté à ses besoins et compétences à travers divers ateliers d’expression (dessin/collage, peinture, expression corporelle, conte, sport, percussions, art floral…) et de sorties, favorisant la communication et l’étayage individuel s’appuyant sur le groupe, lieu ressource. L’atelier peinture dont nous allons parler concerne le groupe Pro3. Celui-ci accueille une dizaine de jeunes entre 14 et 20 ans en grandes difficultés psychologiques et psychomotrices. Internes ou externes, encadrés par trois éducateurs référents, Pro 3 est de type « lieu de vie », espace d’ancrage. L’atelier peinture est co- animé par un des éducateurs référents et nous-même, stagiaire animateur-thérapeute. Il se déroule le jeudi de 14h à 16h30, incluant un temps de post-groupe. Le groupe est fermé et l’indication est discutée entre le médecin psychiatre et l’équipe encadrante. En début d’année scolaire, la proposition de sa participation à l’atelier est faite au jeune, qui donnera ou non son accord. Auquel cas, son engagement vaudra pour l’année (hors vacances) et pourra être reconduit l’année suivante après avoir été rediscuté entre l’institution et le jeune.

 

II.3.2 B - L’atelier peinture : cadre, dispositif et déroulé de l’année.

            L’atelier reçoit en début d’année quatre jeunes filles. Trois jeunes majeures âgées de 20 ans (déjà participantes à l’atelier les années précédentes) sont autistes. La quatrième, plus jeune (14ans), issue de Pro 2, est trisomique et intègre cet atelier pour la première fois cette année. L’une des jeunes majeurs, en attente de son départ pour intégrer une structure d’adultes, ne participera à l’atelier que jusqu’aux vacances de la Toussaint. Celui-ci a lieu après la pause déjeuner et la salle où il se déroule (toujours la même) étant attenante à Pro 3, les jeunes ont par conséquent peu de déplacement à effectuer. Après un temps d’installation du matériel et des chaises disposées en demi-cercle par les co-animateurs, ils invitent les jeunes filles à commencer. Les productions de la séance précédente ont été punaisées sur des panneaux de liège qui permettent également de peindre à la verticale, en station debout. L’atelier se déroule, le plus souvent, en musique. Le rituel d’ouverture, sur fond musical, consiste à enfiler sa blouse (animateurs compris) et à s’asseoir pour un temps de parole : les nouvelles de la semaine, temps de regard et/ou de relecture, temps d’échange, leur sont proposés. Puis vient le temps d’expression. La salle étant petite, une manipulation des chaises et des tables (2 grandes et 3 petites) est nécessaire. Le groupe en choisit alors la configuration ainsi que sa place. Puis les jeunes filles choisissent leurs feuilles (parfois de formes et couleurs différentes) ainsi que leurs couleurs. Le dispositif est composé d’une quinzaine de godets de gouaches avec 1 ou 2 pinceaux par couleur. De la colle, du scotch, des petits rouleaux en mousse, des éponges sont aussi disponibles. Trois sceaux d’eau ont été préparés pour le nettoyage du matériel et une bassine pour le lavage des mains. Il n’y a pas de point d’eau dans la salle mais les toilettes étant contigües, les jeunes ont l’accessibilité à l’évier. Ceci dit, celui-ci a été assez peu utilisé. Le temps d’expression est, en général, non directif, excepté à certains moments de l’année (Noël, Pâques) où une consigne s’y rapportant peut leur être proposée. Après le temps d’expression, un nettoyage des tables se fait tous ensemble et les chaises sont réinstallées pour le temps de parole final. Celui-ci consiste à regarder, commenter les productions (punaisées sur les panneaux de liège) réalisées par chacune et avec l’attention /interaction du groupe. Les co- animateurs rappellent également la date de la prochaine séance et si nécessaire l’absence à la prochaine séance pour diverses raisons de l’une ou l’autre d’entre elles. Le départ définitif de l’une d’elles, les absences, soit pour maladie, soit pour des stages extérieurs, les vacances scolaires, toute coupure pour quelque raison que ce soit, paraissent déstabiliser le groupe. La plus jeune, bien qu’acceptée, garde une certaine distance tout au long de l’année. Des tensions surgissent parfois entre les deux jeunes majeures mais néanmoins le groupe est bienveillant. En début d’année, notre arrivée perturbe les jeunes filles, l’une d’entre elle particulièrement, lui donnant l’occasion de tester nos limites et nos failles. Petit à petit, après un apprivoisement mutuel, notre présence sera acceptée, permettant et autorisant une réelle communication. Cet atelier est à visée « lien social », ayant pour objectif la revalorisation/ re-narcissisation, la communication en appui sur la dynamique de groupe. En fin d’année, à l’occasion des Portes Ouvertes de l’institution, un choix des productions de chacune, effectué entre les co-animateurs et les participantes, est exposé au réfectoire. La co-animation suscite des mouvements transférentiels plus larges, offrant ainsi aux jeunes la possibilité de prendre appui sur l’un ou l’autre des animateurs en fonction du vécu du moment présent. Un post-groupe, d’environ trente minutes, a lieu après l’atelier permettant aux co-animateurs de parler en toute confidentialité de ce qui s’est passé pendant l’atelier. Une prise de notes, trace de la séance, relate la présence/absence du groupe (co-animateurs inclus) le placement des jeunes dans l’espace, inter/relation et interaction groupe/co-animateurs ainsi que les contre-transferts respectifs des co-animateurs. Des temps de supervision  concernant les productions, les contre-transferts ressentis et le rapport entre co-animateurs sont mis en place à la fin de chaque trimestre  permettant une élaboration et une mise à distance salutaire.

            Après chaque séance d’atelier, nous prendrons personnellement notes (hors celles du post-groupe) de ce qui s’y est passé pour le groupe, des émotions qui nous ont traversés ainsi qu’une réflexion sur la co-animation. La vignette clinique qui suit est basée sur nos notes personnelles.

 

II.3.2 C - Le riz au lait de Gaëlle.

            Gaëlle est une jeune fille autiste de 20 ans. Elle est entrée à l’IME à l’âge de 10 ans sur diagnostic de psychose infantile avec troubles graves du développement. Gaëlle n’a connu son père que jusqu’à l’âge de trois ans. Interne à l’IME, elle ne voit sa mère qu’un week-end sur deux et leurs rapports semblent compliqués. Son assistante maternelle à laquelle elle parait très attachée reçoit Gaëlle les deux autres week-ends ainsi que pendant les vacances scolaires. Nous notons qu’elle a également beaucoup investi affectivement son éducatrice référente, dont nous sommes co-animateur de l’atelier. A notre arrivée, Gaëlle refuse toute communication avec nous. L’inconnu est très difficilement gérable et Gaëlle a besoin de temps pour accepter l’accompagnement et autoriser que s’installe la relation. Elle peut faire peur à ceux qui ne la connaissent pas, pouvant aller jusqu’à se jeter sur l’autre pour lui arracher ce qui lui fait envie. Gaëlle a du mal à se détacher de ses objets autistiques (édredon, taie d’oreiller, coussin) et de ses « obsessions » : éteindre les lumières et fermer les portes. Son langage nous est complètement incompréhensible, ses yeux tantôt nous fuient, tantôt nous fixent, manifestant clairement que nous ne sommes pas la bienvenue et son désir que nous restions loin d’elle. Assise, elle se lève brutalement d’un bond, ses gestes sont secs et vifs  laissant à penser qu’ils pourraient être violents. Parfois elle se dirige vers nous, son regard aiguisé, cette fois, planté dans le nôtre, Gaëlle nous teste, nous intimide, nous impressionne. Perturbée par notre présence, elle crie et se frappe le menton avec son poing. Souvent, elle lèche le bout de son index puis les narines dilatées, le flaire avec application, le regard levé. Gaëlle participe à l’atelier peinture depuis plusieurs années. Elle déteste avoir de la peinture sur les doigts qu’elle s’empresse alors de lécher sans avoir omis, préalablement de les sentir. Au cours de l’année, petit à petit, après avoir testé que nous survivions à ses attaques, une confiance mutuelle s’est installée. Parfois, elle nous prend la main pendant que l’autre s’affaire à peindre. Ses productions, très empâtées au début s’aplanissent peu à peu. Le rouge, omniprésent et incontournable, s’associe parfois de rose. Sa trace, plutôt centrée, se situe toujours en bas de feuille, au plus près de son corps. Le reste de celle-ci reste vierge. En début de séance, Gaëlle prend du temps avant de commencer à peindre. Très attentive à ce que les autres jeunes filles font ainsi que très sensible à l’état émotionnel du groupe, elle peut rester un certain temps à les observer sans intervenir sur sa feuille. Elle réalise le plus souvent une et rarement plus de deux productions par séance. En lien avec son état du moment, ces séances peuvent être calmes, d’autres très agitées. Elle semble avoir beaucoup de mal à supporter de ne pas être comprise. Quand nous lui demandons ce qu’elle peint, elle fait très souvent référence à l’internat en nous citant le prénom d’une ou de plusieurs animatrices ou encore une référence à l’alimentaire. Le rouge, dit-elle, représente alors soit quelqu’un, soit le riz au lait,. Gaëlle dit aimer beaucoup le riz au lait. Chaque touche de peinture déposée sur la feuille, est consciencieusement sentie, voire le pinceau ou le godet en émettant un petit bruit de bouche, faisant claquer sa langue sur ses lèvres nous donnant ainsi le sentiment de gouter ce délicieux riz au lait bien qu’à aucun moment Gaëlle ne nous a donné à penser qu’elle confond peinture/personnes/nourriture. Un sourire radieux illumine alors son visage. Nous en avons presque nous-mêmes, l’eau à la bouche ! Gaëlle symbolise plastiquement, représente picturalement, elle tisse des liens, crée des ponts, relie intime et expression. L’odeur dégagée par la peinture ainsi que sa couleur semble lui donner accès à des sensations corporelles ou à des ressentis émotionnels. Une porte ouverte sur le plaisir des gens qu’elle aime ou des aliments dont elle serait friande. La peinture pourrait servir alors de contenant, matière dépositaire d’affects. Au cours de l’année sa trace se fait moins épaisse et la surface de la peinture sur la feuille plus investie. Au cours du deuxième trimestre, la confiance s’étant établie, Gaëlle se frappe de moins en moins jusqu’à disparition quasi complète. Gaëlle quittera à son tour l’IME en fin d’année pour, elle aussi, intégrer une structure d’adultes. Sa personnalité, ne pouvant laisser place à l’indifférence, à la fois complexe, parfois inaccessible et pour autant, si attachante, nous aura profondément marqué.

            Nous pensons que les productions de Gaëlle ont valeur « d’objets transitionnels » au sens Winnicottien lui permettent de contacter/recontacter des ressentis corporels (plaisirs alimentaires) ou psychiques (les animateurs de l’internat) lui donnant le sentiment d’une permanence d’être. La trace graphique, réunificatrice, lui donnant accès à la symbolisation lui permettrait de se sentir sujet en déposant affects intérieurs à l’extérieur, créant ainsi du lien en l’inscrivant dans le monde.  Le cadre, la survivance du groupe et des co-animateurs à ses attaques, enveloppe contenante et sécurisante pourrait favoriser l’étayage d’un « Moi-peau [4]».  

II.3.3 Atelier d'expression en ville:

 

II.3.3 A - L’atelier et son fonctionnement

Nous avons mis en place, il y a un an, des « journées de stage » à notre atelier sous le nom d’ « Empreinte », laboratoire d’expressions. Ce projet est né du désir d’offrir  la possibilité à un public « tout venant » d’utiliser la médiation plastique pour favoriser l’expression de soi dans une démarche de « développement personnel ». Convaincue par notre parcours d’artiste depuis plus de vingt ans que la mise à jour de l’expression est étayante et parallèlement désireuse de partager et de « pratiquer » l’animation d’atelier à laquelle nous nous formons, cette ouverture « d’atelier à l’atelier » nous paraissait pertinente. Bien sûr, de nous l’autoriser ne fût pas chose facile mais le désir l’emportât sur la peur. Ces journées, payantes, se déroulent au rythme d’une par mois, de 10h à 18h avec une pause déjeuner d’1h30 prise à l’extérieur et sans notre présence. Les médiations utilisées sont plastiques (peinture, collage, argile) mais peuvent aussi, certaines journées, s’articuler avec d’autres médiateurs tel que l’écriture, les percussions, la relaxation, etc. Notre plaquette stipule que l’objectif de ces journées est de « s’exprimer, créer, jouer, expérimenter et partager par le biais de la médiation plastique », qu’elles sont ouvertes à tous, sans technique pré-requise et en insistant sur le fait que ce ne sont pas des cours. Les participants, adultes, sont informés du programme trimestriel soit par e-mail, soit en se rendant sur notre site d’artiste et sont composés majoritairement de personnes rencontrées sur des lieux d’exposition ou de relations et/ou amis. L’inscription se fait soit par e-mail soit par téléphone et est effective, pour une première inscription, à réception des arrhes. Notre projet initial était de recevoir de 3 à 6 personnes mais la difficulté rencontrée à les réunir nous a fait nous adapter. Les journées fonctionnent donc à partir d’une seule inscription. Elles se déroulent à notre atelier que nous prenons soin de neutraliser au mieux. Cela dit, une certaine atmosphère se dégage néanmoins du lieu et cette neutralité est toute relative. Nous leur proposons donc de « découvrir, contacter, ressentir, par le biais de la médiation plastique et/ou corporelle, des espaces de connaissance de soi et réfléchir à sa propre créativité en lien avec celle d’autrui. »

 

II.3.3 B - le déroulement de la journée d’atelier

Un temps d’accueil ouvre la journée. Autour d’un café ou d’un thé, nous proposons un tour de table où chacun se présentera en disant son prénom et, s’il le désire, quelque chose sur lui-même, son état du moment ou encore ce qu’il attend de cette journée. Nous sommes installés en cercle, au milieu de la pièce. Puis nous nous présentons à notre tour, en spécifiant les règles de l’atelier : la confidentialité de ce qui s’y passe, le respect des personnes, des productions et des lieux, la non directivité des temps d’expression (excepté quelques consignes « starter » pour les médiateurs corporels), la possibilité de faire ou de ne pas faire. Nous leur signalons aussi le destin des productions : elles peuvent être emportées, jetées ou encore laissées à l’atelier tout en sachant qu’elles ne seront pas conservées. Puis nous leur parlons des temps de parole qui encadreront les temps d’expression le matin et l’après-midi. Pour finir, nous leur présentons le déroulé de la matinée. Nous demandons alors s’il y a des questions ou besoin de clarifications auxquelles nous nous prêtons si nécessaire. Ce premier temps d’accueil et de parole peut durer une demi-heure. Puis nous les invitons à découvrir le matériel à leur disposition et ensuite à choisir leur place respective, en spécifiant qu’elles peuvent s’inter-changer. Les pauses sont laissées à leur libre-arbitre. Vient alors le temps d’expression qui peut durer entre 1h30 et 2h. Un temps de parole clôt la matinée avant la pause-déjeuner. Au retour, nouveau temps d’accueil et parole si besoin. Le temps d’expression est plus long que celui du matin. Pour clôturer la journée et permettre le partage de son propre  regard et de celui de l’autre sur les productions, il leur est proposé un moment d’échange et de mise à distance. C’est le temps des « cabanes[5] »: temps d’ « exposition » non obligatoire, où chacun, s’il le souhaite, installe (tout ou partie) ce qu’il ou elle a produit au cours de la journée. Chaque participant choisit un endroit de l’atelier pour installer sa « cabane » suite à quoi, au rythme de chacun, le groupe sera « invité  à la visiter ». C’est un temps que les participants disent beaucoup apprécier. Se servant de ce qu’il y a autour d’eux, ils créent un univers souvent très symbolique, venant enrichir leurs productions. Cette mise à distance de leur propre regard sur leurs créations, décollé du faire, associée à leur libre parole, semble leur procurer étonnement de leurs capacités à créer, plaisir d’avoir pu le contacter. Nous leur demandons ensuite s’ils souhaitent un retour du groupe qui auquel cas peut exprimer émotions et ressentis sur les productions. Un temps de parole final, plus synthétique, clôture la journée.

            Pour respecter la règle de confidentialité de l’atelier, nous avons pris soin de demander l’autorisation (qu’ils ont acceptée) à nos participants d’exposer cette vignette clinique (ainsi que celle en appendice) en leur proposant l’accès à la lecture les concernant.

 

 

II.3.3 C - Annie et la terre rouge

            Cette vignette clinique est basée sur nos prises de notes personnelles réalisées après la clôture de l’atelier. Celles-ci nous servent à en garder la trace pour nous permettre une réflexion et une élaboration personnelle dans le but d’améliorations/ réajustements pertinents à notre pratique d’animateur d’atelier.

            La journée propose une médiation argile : terre rouge, blanche, noire, jaune, verte et de différente texture de lisse à chamottée fine, moyenne et grosse. La chamotte est de la terre cuite pilée plus ou moins gros et réintégrée à la terre crue, ce qui donne une argile plus solide à la cuisson et dont la texture, plus ou moins granuleuse, apporte d’autres sensations au toucher que la terre lisse. Elle reçoit ce jour, deux participantes à l’atelier. L’une d’entre elle (une amie) est artiste peintre mais vient expérimenter l’argile avec laquelle elle n’est pas du tout à l’aise. Le binôme ne se connaît pas et dit d’un commun accord être «  très contente de n’être que deux » car le groupe élargi les embarrasse. Pour Annie, c’est une première expérience avec l’argile. Elle dit n’avoir aucune idée précise ni préconçue sur le médiateur bien qu’elle s’y sente attirée. Curieuse de découvrir et surtout de tester sa capacité à créer, elle dit « s’offrir cette journée comme un cadeau qu’elle se fait ». Annie est une de nos relations avec laquelle nous avons voyagé il y a plusieurs années mais sans nous revoir depuis. Annie est à l’aise, en confiance, et le binôme s’apprécie mutuellement. Comme souvent, dans le temps d’expression de la matinée, chacun n’ose se servir de grosses quantité de matière et les allers et venues à la table matériel sont quasiment inexistantes. Annie choisit une terre rouge, légèrement chamottée. La plongée dans l’expression fait taire les papotages et les rires déjà complices, laissant place au silence des mains qui s’affairent dans la matière. Le binôme s’est installé à une table commune, en vis-à-vis décalé. Une plaque d’argile donne peu à peu naissance à un masque africain. Archaïque, brut, il dégage une force incontestable. Annie est très surprise de sa production. Très attirée par l’Asie depuis toujours, dit-elle, elle y voyage souvent, aimant sa philosophie et sa culture. Elle pratique le Tai-chi Chuan depuis des années. Bien que d’origine guadeloupéenne par sa mère, Annie avec sa jolie peau mate, dit être à mille lieux de l’Afrique. Ce masque, arrivé d’elle ne sait où, la perturbe. « J’avais vaguement l’idée de faire quelque chose se rapportant à l’Asie, ma passion, et voilà que surgit l’Afrique, me renvoyant à des racines que je ne me suis jamais appropriées » nous dira t’elle au temps de parole de la fin de matinée. De retour de déjeuner, elle dit que ce masque l’a décontenancée mais qu’elle sait ce qu’elle va faire cet après-midi : « un arbre ». A nouveau, la terre rouge l’emporte sur les autres. Après avoir passé presque une heure à préparer méticuleusement de petites feuilles pour parer un tronc sommaire, la difficulté de faire tenir ces feuilles si fines et si fragiles la fait finalement renoncer. Dépitée par cet investissement inabouti, à deux doigts de laisser tomber et voyant l’heure tourner, elle se décide néanmoins à poursuivre sur cet arbre nu. Et voilà qu’émerge un baobab. Annie se rend à l’évidence. La terre rouge semble  lui avoir parlé, la connectant avec l’histoire de sa famille (dont dit-elle, on ne parle jamais), la reliant à ses origines. A l’issue de la journée Annie a dit s’être agréablement surprise tant par sa faculté de créer que par ce que ses productions lui ont dit d’elle.

La trace lui a révélé, à son insu, une part d’elle-même insoupçonnée, voire déniée, favorisant la conscientisation/réappropriation de son histoire familiale. Nous pensons que l’appétence d’Annie pour le médiateur terre, la non directivité, sans jugement ni attente, lui laissant toute latitude à faire ainsi que la bienveillance du binôme et de notre accompagnement a permis que l’intime puisse surgir dans l’expression. Cette capacité à créer/ se créer/ se recréer, processus de transformation, valorise la personne pour elle-même et aux yeux des autres. Notre exergue : « un voyage au cœur de soi » prend là toute sa dimension.

           

            Au cours de cette approche clinique nous avons pu constater tans dans le résultat des questionnaires/entretiens que par le biais des vignettes cliniques qu’une part d’intime plus ou moins lisible, est à l’œuvre dans l’expression. Les animateurs-thérapeutes nous disent être des « témoins  neutres » de ce dépôt symbolique, et bien que n’étant pas un objectif établi de l’atelier, l’intime surgit souvent à l’insu de la personne à condition que le cadre posé soit suffisamment contenant et protecteur. Cependant il peut revêtir moult formes, tant par le biais de la production, que par la parole posée ou encore être véhiculé émotionnellement. Chez les usagers d’ateliers d’expression tout comme chez les artistes nous constatons que la production/œuvre faisant office d’enveloppe permettant un double mouvement de voilé/dévoilé, montré/caché, permet de dire sans dire. Le regard de l’autre, plus ou moins sensible et perméable à cette  proposition de communication non verbale, est invité à créer/partager un espace intime commun. La parole posée sur la production permet de mettre en sens ce qui a surgi plastiquement. L’expression peut donc être utilisée comme un abri protecteur du soi et créateur de lien à l’autre. Les vignettes cliniques nous donnent à voir ce qui « échappe » de l’intime dans l’expression. L’expression, inconsciente, révèle alors cette part de soi émergeante en dehors de tout contrôle, que l’on soit « normopathe » ou en situation de handicap. Cadre contenant, parole sans jugement et regard bienveillants permettent l’accès à une conscientisation. L’expression peut alors avoir valeur libératrice, réparatrice voire transformatrice favorisant le sentiment d’être sujet.

 

Conclusion

 

« Et je peignis. […] Peindre, lorsque je n’étais pas trop méchante pour y arriver, me réunifiait, réconciliait mon âme et mon corps. Tout ce qui se trouvait au fond de moi s’exprimait par mes mains, mes yeux et la couleur. C’était libre, vivant, plein d’amour et d’imagination. […] Mon œuvre semblait jaillir du fond de moi-même, se développer presque indépendamment de moi. Elle désirait s’exprimer à sa façon. Puis elle semblait revenir vers moi. » Marie Barnes.

 

            Nous voici arrivés au terme de cette étude dont nous pouvons dégager que la pulsion de créer est intrinsèque et vitale à l’être humain, favorisant ainsi le sentiment d’exister et d’être sujet de sa vie. Un cadre « contenant » visant à se sentir suffisamment en sécurité, permet à la personne d’accéder au symbolique par le biais de l’expression plastique. L’atelier, « espace transitionnel » au sens Winnicottien, offre alors une « aire intermédiaire d’expérience » tant à l’artiste qu’à l’usager, lieu protégé, apte à tisser un lien entre dedans et dehors. La production, réceptacle, peut alors être utilisée comme « objet transitionnel », dépositaire de ce qui se joue à l’intérieur, dévoilant ainsi une part d’intime protégé, pour ensuite, être véhiculée vers l’extérieur au regard de l’autre. Nous avons vu aussi que la trace graphique, peut parfois avoir valeur cathartique (décharge émotionnelle). La parole posée de part et d’autre sur la production pourrait dans certains cas, s’apparenter à une perlaboration, symbolisation par le langage. Parole et regard, si exempts d’interprétation et jugement peuvent soutenir  l’émergence de cette part de soi, reconnaissant sa place au sujet en l’inscrivant dans le monde. Mais en fonction de la population concernée, différentes modalités doivent être mises en place pour assurer au sujet un cadre protecteur et sécurisant favorisant l’émergence de l’expression. Nous avons vu qu’en général en institution, dans les ateliers d’expression à visée psychothérapeutique, production, parole et regard restent confidentiels au groupe. Le groupe, fermé, et par là-même protégé de toute intrusion fait alors fonction d’enveloppe. Dans certains cas, pour les ateliers à visée de lien social, certaines productions peuvent sortir et faire l’objet d’exposition de fin d’année dans un objectif de valorisation/re-narcissisation du sujet. La parole peut circuler aussi plus largement car donner à voir appelle à une communication. Dans le cadre de l’atelier en ville, à visée de développement personnel, la validation de sa capacité à créer entraine un développement de l’estime de soi dont  la production fait trace, pouvant parfois révéler au sujet une part cachée en lui donnant ainsi accès à une meilleure connaissance de soi. Quant aux artistes, le regard entrainant la parole leur est nécessaire, attendu, parfois craint mais cependant désiré, partie intégrante de l’œuvre. Ce sont les ponts vers l’autre, l’accès au partage d’un espace commun. Cette trace, qu’elle soit archaïque ou experte, n’est pas qu’une trace graphique mais un support concret à la trace psychique du sujet. Nous pensons que si les ateliers d’expression ont été suffisamment « rêvés » par le ou les animateurs, ils  peuvent être, dans une certaine mesure, bénéfiques à toute personne à condition que celle-ci le désire et tout en sachant que c’est le « processus du faire » et non le résultat d’ « œuvre » qui est opérant : l’expression comme « véhicule » de symbolisation, de sublimation, de transformation ; l’expression comme véhicule de l’intime. Nous pensons pouvoir alors démontrer la validité de nos hypothèses tout en gardant une interrogation sur le sentiment de risque pour la personne que peut représenter regard et parole sur sa production ainsi que sur les différents « boucliers » mis en place par chacun pour se  protéger d’une possible mise en danger.

 

L’étude de ce mémoire sur l’intime et l’expression nous a offert l’occasion de structurer notre pensée grâce à l’articulation théorico-clinique sur ces deux termes à la fois compréhensibles mais néanmoins si « abstraits ». La « replongée » à postériori dans nos expériences cliniques relatées et remises en perspective ici nous a permis une mise à distance salutaire pour la réflexion et l’élaboration de nos animations d’ateliers à venir. Nous espérons que cette réflexion sur l’« Intime de Nos expressions » aura crée des ponts et tisser les liens aptes à nous réunir en tant que « Sujets de Nos vies présents au monde » en ouvrant le champ des possibles des «  Expressions de Nos intimes ».

 

  Bibliographie

 

Anzieu, D. (1985)  Le Moi-peau. Paris, Dunod,

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Bion, W.R. (1979)  Aux sources de l’expérience. Paris, Puf,

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Chomo (Chomeaux, R). (1978)  Un pavé dans la vase intellectuelle. Paris, Simoën.

Golse, B. (1990)  Penser, parler, représenter, émergences chez l’enfant. Paris, Masson.

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Thévoz, M. (1981)  L’Art Brut. Genève, Skira.

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Sternis, C. (1997)  Le cadre et le fantasme. Bordeaux, Cahiers de l’Art Cru.

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Winnicott, DW. (2008) Jeu et réalité. Paris, Gallimard Folio essais.

 

  • Revues

Artension. Hors Série N° 4 : l’Art Brut.

Nouvelle revue de Psychanalyse.(1989) L’intime et l’étranger n°40. Paris, Gallimard.

 

  • Catalogues

Bourgeois, L. (2008) Catalogue de l’exposition du centre Georges Pompidou. Paris.

Rustin, J. (2009) Une vie de peinture, Catalogue de l’exposition de la galerie Polad-Pardouin. Paris.

Chomo. (2009) Catalogue de l’exposition de la Halle Saint-Pierre. Paris.

Catalogue de l’association. (2006) 30 ans. Paris.

 

  • Filmographie :

Marion Cajori et Amei Wallach. (2009) « Louise Bourgeois : L’araignée, la maitresse et la mandarine ». New York, Pretty Pictures.

 

  • Articles :

Olivier Céna. (2008) « Le Passé de la femme araignée ». Télérama.

Elisabeth Couturier. (2010) « Louise Bourgeois rejoint le 7ème ciel ». Paris Match.

Françoise Monnin.  « André Robillard » Artension n°106. 

 

 

[1]Catalogue édité à l’occasion des 30 ans de l’association. 2006.

[2]Ibid.

[3] Ibid.

[4] Anzieu : Le Moi-peau. Ed Dunod, 1985

[5] Claude Sternis : terme asphodélien.

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Marie Wermuth

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Les Lilas (93)

 

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